dimanche 17 décembre 2017

RER : La correspondance maçonnique échangée par Jean-Baptiste Willermoz et Claude-François Achard



La correspondance maçonnique échangée par Jean-Baptiste Willermoz et Claude-François Achard de Jacques Rondat. Deux tomes aux Editions de La Tarente, Mas Irisia, Chemin des Ravau, 13400 Aubagne.
Jean-Baptiste Willermoz développa tout au long de sa vie une grande activité épistolaire. L’ensemble de cette correspondance reste à rassembler et devra donner lieu dans le futur à une analyse approfondie et probablement passionnante.

Le remarquable travail de Jacques Rondat est circonscrit à la correspondance de Jean-Baptiste Willermoz avec Claude-François Achard à une époque où le Régime Ecossais Rectifié est moribond. C’est l’occasion pour Willermoz de relancer son projet dans le Sud-Est de la France qui restera une « terre rectifiée ». Le premier des deux tomes que nous offre l’auteur est justement intitulé Un cours de maçonnerie rectifiée. En effet, tout au long de cette correspondance, Willermoz délivre une série de consignes, explicitées sur le fond, visant la mise en œuvre du rite dans toutes ses dimensions, formelles et implicites. Ce travail fait écho à celui de Loïc Montanella consacré à La naissance de la province d’Auvergne du régime rectifié, d’après la correspondance de Jean-Baptiste Willermoz (17772 – 1775), publié chez le même éditeur, qui prenait notamment appui sur une autre correspondance de Willermoz avec, cette fois, le baron von Weiler. Ces correspondances permettent de comprendre les procès à l’œuvre dans la mise en œuvre d’un projet idéal dans le quotidien, toujours troublé, des êtres humains.



Le choix méthodologique de l’auteur, associant l’analyse et le commentaire directement au passage de la correspondance étudié, permet d’éviter des interprétations trop éloignées du contexte. Par ailleurs, le lecteur peut retrouver l’ensemble de la correspondance transcrite dans le second volume pour une lecture au long cours. L’étude de la correspondance obéit à un choix thématique en trois grandes parties : doctrine et symbolisme – organisation et administration du Régime rectifié – vie professionnelle, privée et familiale de Willermoz. 

Le premier thème permet par exemple de découvrir l’évolution de la pensée de Jean-Baptiste Willermoz à propos du magnétisme animal ou ses rapports avec l’ésotérisme ou la religion chrétienne catholique. Nous y trouvons aussi la question, très importante, de l’arithmologie du Régime rectifié, mais peu développée ici. Les relations entretenues avec Louis-Claude de Saint-Martin apparaissent à travers l’influence du livre de ce dernier, Des erreurs et de la vérité, dans la pensée willermozienne. Willermoz admirait Saint-Martin et cet ouvrage majeur du Philosophe inconnu fut publié à l’époque des célèbres « Leçons de Lyon » données aux émules lyonnais de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers par Willermoz, d’Hauterive et Saint-Martin. Les thèmes développés par Saint-Martin dans Des erreurs et de la vérité furent au cœur des échanges. On notera que les livres du Philosophe inconnu ont du vivant de Willermoz une influence importante dans les loges rectifiées sans être pour autant conseillés à l’étude par la direction du régime, influence que regrette Willermoz en raison de l’extrême complexité de la pensée saint-martinienne et des mauvaises interprétations qui s’en suivent.

C’est sans doute le deuxième thème retenu, celui de l’organisation et de l’administration du Régime rectifié qui est le plus intéressant, sur l’apparition et l’histoire du Régime, sur le rôle du Directoire, sur la pensée et les instructions de Willermoz, entre autres. Willermoz dresse une typologie très lucide des membres d’une loge (typologie qui vaut pour toute organisation à prétention initiatique) :

« Les uns, et en petit nombre sont des aigles en intelligence, mais dont souvent le cœur est froid ; d’autres sont des âmes douces et sensibles, mais dont les ailes courtes ne peuvent pas s’élever bien haut ; d’autres encore avec un ensemble de vertus et de qualités sociales qui les rendent chers à ceux qui les connaissent, paraissent apathiques pour les choses de l’Ordre et semblent n’attendre qu’un véhicule de sa part pour les tirer de cette léthargie ; d’autres enfin présomptueux, aimant à diriger et à dominer, quelques fois même intrigant, comme je l’ai vu trop souvent, pour assurer leur domination n’ont souvent aucun mérite essentiel que celui de leur assiduité aux travaux et délibérations de la loge, qu’ils veulent faire prendre pour du zèle. »

L’antidote demeure le travail et encore le travail, selon un ordre précis d’instruction, et une invitation à être soi-même et à laisser le cœur parler : « ce ne sont pas des discours fleuris et recherchés que l’on vous demande : c’est l’exposition simple et naïve de vos pensées sur telle ou telle partie de l’instruction que vous avez reçue, afin que vos Frères et vos supérieurs puissent connaître si elle est tombée sur un fonds mort ou vivant. ».

Toutes les instructions de Willermoz, ses conseils, visent à faire d’une loge une véritable école de sagesse et de recherche. Inlassablement, il aura fait de la rectification un art initiatique permanent et un mode de vie. Ce témoignage important contribue, au-delà de la compréhension du Régime Ecossais Rectifié, à la connaissance du procès initiatique, à ses exigences, à son orientation, à sa finalité.