mercredi 27 décembre 2017

Martinès de Pasqually par Michelle Nahon



Martinès de Pasqually. Un énigmatique franc-maçon théurge du XVIIIème siècle, fondateur de l’Ordre des Elus Coëns par Michelle Nahon. Editions Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.

Les figures de la scène ésotérique restent souvent, et sans doute nécessairement, insaisissables. Comme le rappelait Nietzche, nous aimerions avoir la vérité d’un sujet mais nous n’avons que des évaluations. Toutefois, les regards portés des décennies, voire des siècles plus tard, sur une personnalité, peuvent permettre, en partie, de mieux comprendre son œuvre.



Cette deuxième édition de l’étude précieuse de Michelle Nahon sur l’un des principaux acteurs de l’illuminisme occidental est largement augmentée. Si Martinès de Pasqually demeure à bien des égards mystérieux, cette étude, croisée avec quelques autres apports historiques des deux dernières décennies, permettra de mieux comprendre l’intention et la finalité du projet martinésiste et de ses riches prolongements notamment saint-martiniens et willermozistes.

Grâce à un travail de recherches rigoureux, très systématique, collectif, Michelle Nahon réussit à clarifier de nombreuses zones d’ombre de la vie de ce noble aventurier que fut Martinès. Elle le rend ainsi plus familier, plus accessible aussi.

Si le projet de Martinès de Pasqually emprunte au cadre maçonnique, sa nature est autre, à la fois chevaleresque et sacerdotale, organisée autour d’opérations théurgiques de réintégration aussi complexes qu’exigeantes. Michelle Nahon explore les conditions de la mise en œuvre de ce projet, souvent difficiles, parfois mêmes si chaotiques que nous pouvons nous étonner d’entendre encore parler de Martinès de Pasqually, de ses émules et de la doctrine de la réintégration des êtres particulière aux Elus Coëns, en ce début de XXIème siècle, et sans doute encore pour longtemps, même si cela demeure marginal.
L’ouvrage distingue les années obscures, les années fastes et les années difficiles, une distinction que nous pourrions appliquer à la plupart des grandes figures de la scène ésotérique.
Les années obscures correspondent à l’enfance, le début de vie active dans l’armée et les débuts de Martinès de Pasqually dans la carrière maçonnique avec la question très discutée de la charte reçue de son père. Les années fastes débutent avec son arrivée à Bordeaux où il séjourna une dizaine d’années et jeta les bases de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers dans un contexte maçonnique agité. Cela ne se fait pas sans difficultés, Martinès de Pasqually se montre souvent convaincant, son projet rencontre l’intérêt mais son organisation demeure confuse. Les années difficiles débutent par la maladie de Martinès de Pasqually et se poursuivent avec son départ pour Saint Domingue. Tensions, incompréhensions entre les hommes, aspects financiers interfèrent avec le projet martinésiste malgré le soutien de Louis-Claude de Saint-Martin qui quitte l’armée et se consacre à l’Ordre.

Michelle Nahon évalue favorablement, malgré les obstacles, le rôle des Elus Coëns :

« L’ordre de Martinès est resté en sommeil et son fils ne l’a pas remis en activité mais ce n’est pas pour autant que sont perdus tout ce travail, tout cet enseignement et tous ces textes. Le maître a su apporter à ses émules une formation solide, critique, éthique, avec des bases de réflexion quasi philosophique et une forme d’ésotérisme chrétien qui vont leur permettre d’avoir un rôle important dans l’évolution de la Franc-maçonnerie et de l’illuminisme. A cette formation théorique, il a ajouté des techniques qui leur ont permis d’être dans une certaine réceptivité et de développer une capacité à se mettre à distance des événements et des idées reçues. »

Cette nouvelle édition est enrichie par plusieurs découvertes et informations nouvelles notamment sur la fameuse patente retrouvée à Minsk en Biélorussie mais aussi sur les activités d’une Loge du Saint Esprit fondé à Bordeaux en 1770. Plusieurs manuscrits du Traité de la Réintégration des êtres ont été retrouvés ainsi qu’un rituel d’équinoxe presque complet. Parmi les outils mis à disposition du lecteur, se trouve une très utile chronologie fortement détaillée.
Le travail de Michelle Nahon précise nombre de détails de la vie de Martinès de Pasqually et l’apport historique de ce livre est indéniable même si nous pouvons espérer des recherches futures des réponses, sans doute partielles, aux nombreuses interrogations qui demeurent.