mercredi 26 novembre 2014

La Lectio Divina selon Enzo Bianchi




Prier la Parole. Lecture et méditation des écritures d’Enzo Bianchi, collection Spiritualités vivantes, Editions Albin Michel.

Enzo Bianchi est le fondateur de la communauté œcuménique de Bose, dans le Piémont. Ce livre est devenu depuis sa première édition en 1973 une référence pour tous ceux qui souhaitent redécouvrir une pratique traditionnelle du christianisme ancien, la lectio divina.
« La Parole de Dieu adressée aux auteurs bibliques, enseigne Enzo Bianchi, a été fixée par écrit non pour donner un code de la Parole de Dieu aux croyants, mais pour que l’Ecriture puisse toujours devenir Parole.
Et le lieu privilégié où l’Ecriture devient Parole est la liturgie. (…)
L’assemblée liturgique est beaucoup plus qu’une manifestation de l’unité du peuple de Dieu ; elle est, selon la définition d’Augustin, le sacrement visible du Verbe ; elle est le sacrement du Verbe qui se fait entendre. C’est le Christ lui-même qui agit et opère par sa Parole. (…)
Une autre raison de l’importance de la lectio divina est la préparation à la liturgie. Si la Parole est reçue sans préparation, sans foi, sans amour et sans connaissance, elle ne vivifie plus, elle reste pour nous parole morte. Si l’interprétation et l’écoute de la Parole doivent être doxologiques, c’est-à-dire qu’elles doivent se faire en commentant la Parole par la Parole, il faut bien la connaître et l’approfondir ; et cela n’est possible que s’il existe une amoureuse assiduité vis-à-vis de la Parole. »
L’opérativité de cette pratique est telle qu’elle devient une forme d’ascèse.
« L’assemblée liturgique est un rassemblement non seulement de croyants, mais de croyants devenus prêtres et prophètes, c’est-à-dire capables de lire et d’écouter l’Ecriture avec le même esprit qui anima prêtres et prophètes. Donc tout membre de l’Eglise, justement en vertu de cette qualité qui lui est propre, rend la Parole vivante pour lui-même et pour l’Eglise. »
Cette opérativité qui permet de comprendre le sens du dogme dans son rapport au mystère d’où naît cette « vivance », le frère Enzo la soutient par un ensemble de conditions. Pour cette « lecture priante », il faut « un lieu de solitude et de silence, où tu puisses prier ton Père dans le secret jusqu’à le contempler » dit-il dans une lettre au frère Jean. « Le cœur est l’organe principal de la lectio divina » précise –t-il, « un cœur large et bon », « un cœur d’enfant ». Nous sommes en pleine voie cardiaque. Il convient d’invoquer l’Esprit Saint car « C’est l’Esprit qui a présidé la génération de la Parole ». Lire ne doit pas être le fruit du hasard : « Obéis au lectionnaire liturgique et accepte ce texte que l’Eglise t’offre aujourd’hui, ou bien lis un livre de la Bible du début à la fin, en en faisant une lecture cursive. ». Et « Médite ! ». Le chemin est étroit entre érudition et onction, science et conscience, livre et charité. S’orienter vers le second terme sans rejeter le premier demande humilité, écoute et même « rumination ». Enfin, « Prie ! » clame-t-il, « Parle maintenant à Dieu, réponds-lui, réponds à ses invitations, à ses appels, à ses inspirations, à ses demandes, à ses messages qu’il t’a adressés à travers la Parole comprise dans l’Esprit Saint. »
Lire, méditer, prier, contempler, tel est le chemin :
« La lecture est un exercice externe, la méditation est un acte de l’intelligence intérieure, l’oraison un désir, la contemplation un dépassement au-dessus de tout sens. Le premier degré est celui des commençants, le second des progressants, le troisième des fervents, le quatrième des bienheureux. »
Editions Albin Michel, 22 rue Huyghens, 75014 Paris, France.


mercredi 12 novembre 2014

Le culte en "esprit" de l'Eglise intérieure



Le culte en « Esprit » de l’Eglise intérieure » de Jean-Marc Vivenza, Editions La Pierre Philosophale.
Jean-Marc Vivenza accomplit ce que tout martiniste se doit de faire dans une démarche véritablement saint-martinienne, lire les écrits de Louis-Claude de Saint-Martin, les relire encore, afin d’étudier et d’intégrer l’œuvre du Philosophe Inconnu dans une approche dimensionnelle et non pas, comme trop souvent, catégorielle.



Dans cette nouvelle proposition, Jean-Marc Vivenza explore la dimension de l’Eglise intérieure, centrale et ultime chez Saint-Martin, essentielle dans le courant de l’Illuminisme.
Cette « célébration de la liturgie céleste dans le Sanctuaire du cœur selon Louis-Claude de Saint-Martin » est présente, fortement présente, et même décrite avec précision dans les écrits du Théosophe d’Amboise. Ce chemin de l’intimité, non pas avec Dieu, mais de Dieu lui-même, exige en tout premier lieu le silence, la traversée sereine des formes cultuelles et initiatiques.
Jean-Marc Vivenza cite Louis-Claude de Saint-Martin dans L’Homme de désir :
« Toutes les religions ont un culte et des cérémonies, toutes les doctrines religieuses ont des pratiques sensibles. Toutes ont des formules actives, auxquelles sont attachées des idées de puissance, qui impriment le respect, et semblent menacer tout ce qui s’en rend l’ennemi. (…) Qu’êtes-vous, vains fantômes de la nuit, quand le soleil s’avance majestueusement sur l’horizon, et qu’il verse, à grands flots, sa lumière ? »
Le propos de Jean-Marc Vivenza oscille entre l’identification de ces fantômes, quitte parfois à leur redonner une vie qu’ils ont déjà perdue, et l’orientation directe vers la porte, apparemment étroite, pourtant infiniment grande, de l’Eglise intérieure, de ce Lieu de Dieu qui est aussi lieu de l’Homme. Il cherche à donner au lecteur attentif le pressentiment de cet « en esprit et en vérité » qui qualifie le véritable, le seul sacerdoce. Affranchissement des conditionnements pour rejoindre la liberté de l’Esprit.
Le travail attendu est à la fois considérable et minimaliste. Le procès décrit est précis : Accès au Sanctuaire – Le Royaume divin n’est pas de ce monde – Le culte d’adoration « en esprit et en vérité » - La purification de l’âme – Absolu dépouillement et sacrifice de la volonté – La divine liturgie dans le Sanctuaire du cœur. Il s’agit bien de célébrer le culte « en esprit » dans une spontanéité absolue même si, dans la dualité que nous partageons, la trace écrite, dans un paradoxe nécessaire, fournit quelques indices de la préparation à cette spontanéité de l’être : Mise en présence de Dieu – L’éloignement des choses sensibles et l’anéantissement de la matière – Abandon de l’Esprit en Dieu – Ordination de l’âme en tant que « prêtre du seigneur » - Consécration « en esprit », des saintes espèces – La fraction mystique du pain et l’offrande du calice afin de remonter vers « l’élément pur » - Communion sacramentaire – Méditation et action de grâce.
On pressent que cet interne-là n’est en rien un interne par opposition à un externe mais une « internité » qui jaillit de la fin de toute opposition. Toute représentation en est absente.
Jean-Marc Vivenza tente de distinguer certains éléments de ce culte :
« S’il se célèbre selon l’interne, cela signifie que le culte de l’Eglise intérieure s’opère dans le silence et l’invisibilité stricte, qu’il se pratique de façon non ostensible, rien n’en signalant la présence (…).
De même, aucune limitation de temps ou de lieu ne vient s’imposer à  la célébration de la liturgie selon l’interne, elle peut se dérouler dès l’instant que l’âme le souhaite en n’importe quel endroit et sans nul impératif horaire (…).
Le culte intérieur est de dimension purement immatérielle et strictement spirituelle, ainsi l’âme de désir prendra soin d’être vigilante au moment où le célébrant, en lui-même, présentera en son cœur et en offrande les saintes espèces en les élevant en esprit vers l’invisible, sur l’aspect strictement et essentiellement céleste des substances de la consécration.
Pour être uniquement célébré « en esprit », le culte intérieur est néanmoins « sensible », c’est-à-dire qu’il intervient directement (…) sur l’âme (…).
D’autre part, souvenons-nous, que le culte intérieur permet d’accéder à la substance la plus intime du Divin Réparateur (…).
Ainsi, nulle formule mécanique, nul texte rédigé ou écrit par avance n’est nécessaire, il suffit simplement de laisser le Divin réparateur prier en nous (…).
Jean-Marc Vivenza tente de relever un défi impossible, dire l’indicible dans une langue, la nôtre, fondamentalement dualiste, sans faire appel à la dimension poétique favorable au pressentiment. Par une pensée construite, il cherche à pré-dire ce qui ne se dit pas. Le dialogue, qu’en réalité il ouvre ainsi avec la pensée et les écrits du Philosophe Inconnu, évoque, non sans netteté, le mouvement immobile du Saint Esprit, Cela même que les assemblées organisées s’emploient à ignorer.
Jean-Marc Vivenza est tout à fait conscient du risque de crispation dualiste et il en prévient le lecteur :
« Les développements que nous venons d’exposer portant sur le déroulement du culte intérieur, peuvent, bien évidemment, comme nous venons de le rappeler, lors de la prière de l’âme de désir, se réunir en une seule pensée et être accomplie en une simple et unique « oraison du silence » ; ils n’ont pas vocation à être, à leur tour, fossilisés et récités mécaniquement, se transformant stérilement en une mimétique imitation de la liturgie ostensible de l’institution visible (…). »
Le passage de l’initiation comme « imitation » à l’initiation comme « invention » ici et maintenant, de l’horizontalité à la verticalité, de la temporalité à l’éternité, est une Grâce par laquelle les offrandes, qu’elles soient considérées symboliques ou réelles, se font perpétuelles.
La proposition de Jean-Marc Vivenza ne se veut pas vérité mais bien ensemble d’indications d’un chemin que Louis-Claude de Saint-Martin n’a cessé de nous rappeler.
Editions La Pierre Philosophale, C3 Les Acacias, 17 avenue Eisenhower, 83400 Hyères, France.