jeudi 27 décembre 2012

La Pierre cubique à pointe


La Pierre cubique à pointe par Jeanne Leroy, collection Les Symboles Maçonniques, MdV Editeur.
Les Compagnons opératifs rappellent régulièrement aux Francs-maçons qu’ils ne doivent pas oublier la Pierre cubique à pointe, parachèvement de l’œuvre, ultime justification du voyage et du choix initiatique de l’alternative nomade.
Jeanne Leroy nous offre une synthèse nécessaire sur ce haut symbole sans lequel l’édifice maçonnique perd son orient. Présente depuis l’Antiquité, la Pierre cubique à pointe évoque les aspects terminaux de la queste initiatique. Le sommet de cette pierre indique le point sublime, le centre, l’omphalos où se réduisent toutes les antinomies, où la dualité se dissout dans la non-dualité.
« L’accès à ce point sommet, précise Jeanne Leroy, correspond à la parfaite maîtrise de soi qui amène l’être spirituel, dans le non-agir, à s’identifier au moteur immobile en s’assimilant au point et s’unissant par là avec le principe. »
Il est intéressant de noter que notre Franc-maçonnerie, si malade du monde et de ses divisions, bâcle souvent le grade de Compagnon hors la Pierre cubique à pointe est le chef d’œuvre du Compagnon fini. Renouer avec ce grade et sa finalité, restituer au voyage sa fonction initiatique authentique, et non en une amicale « virée des loges », est l’un des axes d’une restauration de la Franc-maçonnerie initiatique :
« Tout l’enseignement maçonnique est donné dans son intégralité dans les trois premiers grades dits bleus : Apprenti, Compagnon et Maître. Ceux-ci ont des prolongements et des approfondissements dans tous les rites par un système dit de hauts grades.
Dès lors, le Maçon retrouve le développement de la pierre cubique à pointe comme synthèse de toutes les connaissances au 2° et 4° Ordre du Rite Français, ainsi qu’aux grades de Grands Elus de la Voûte Sacrée, au 14ème degré, à celui de Chevalier Rose-Croix au 18ème degré et à celui de Grand Elu Chevalier Qadosh au 30ème degré du R.E.A.A..
Cet aspect synthétique voulant présenter le résumé des connaissances, montre bien l’étendue de l’œuvre de recherche du Compagnon pour se transformer en Compagnon fini et appréhender l’intégralité de la Tradition. »
Jeanne Leroy s’attarde à juste raison sur la Pierre cubique à pointe surmontée d’une hache fichée en son sommet. La hache est souvent associée à la foudre et rappelle l’axis mundi :
« La hache ainsi que le marteau ou la pioche tranchent par la force, ouvrant ce qui est ordinairement fermé. Ils y font ainsi pénétrer la lumière par l’éclair qui frappe, telle la foudre  qui s’abat, image de l’illumination initiatique. »
Symbole de la maîtrise des arcanes de l’initiation et de l’œuvre, ce symbole opératif, par son déploiement, est porteur de toute la connaissance traditionnelle, résultante d’une théophanie qui trouve sa réalisation dans l’accomplissement de la Pierre Philosophale. Jeanne Leroy conclut ainsi cette nécessaire introduction :
« De la simple pierre cubique à pointe polie élaborée par le compagnon fini, cette pierre est un récapitulatif de l’ensemble de la Connaissance du Grand Elu. Ce message est gravé dans la pierre à l’image des obélisques.
On peut considérer qu’au terme de l’ascension pyramidale, l’initié accède à la quintessence de l’être, à l’union au verbe, semblable à celle du pharaon défunt qui s’identifiait, au creux de la pierre, au dieu immortel. »
D’autre part, Elle cite de manière pertinente un extrait du Traité de la réintégration des êtres de Martines de Pasqually qui, en quelques mots, justifie le recours à l’externe et le processus qui conduit de celui-ci à l’interne et au point ultime :
« Considérons le temps comme l’espace contenu entre deux lignes formant un angle. Plus les êtres sont éloignés du sommet de l’angle, plus ils sont obligés de diviser leur action pour la compléter ou pour parcourir l’espace d’une ligne à l’autre ; au contraire, plus ils  sont rapprochés de ce sommet, plus leur action se simplifie ; jugeons par là quelle doit être la simplicité d’action de l’Être principe qui est lui-même le sommet de l’angle. Cet Être n’ayant à parcourir que l’unité de sa propre essence pour atteindre la plénitude de tous ses actes et de toutes ses puissances, le temps est absolument nul pour lui. »
MdV Editeur, 16 bd Saint-Germain, 75005 Paris, France.

vendredi 9 novembre 2012

Les Hommes de Désir

Les Hommes de Désir, entretiens sur le martinisme par Serge Caillet et Xavier Cuvelier-Roy, Editions Le Mercure Dauphinois.
Après plus de deux siècles de manifestation, le courant martiniste avait besoin d’une mise en perspective. Ce livre y contribue sous la forme d’un entretien vivant, passionnant et tout à fait rigoureux sur le plan de l’information historique et de l’analyse.
Rappelons que le terme de « martinisme », selon la définition donnée par Robert Amadou et reprise par Serge Caillet, rassemble l’œuvre de Martines de Pasqually et de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers, la théosophie de Louis-Claude de Saint-Martin, l’œuvre du Régime Ecossais Rectifié de Jean-Baptiste Willermoz et celle de l’Ordre martiniste depuis Papus, en ses différentes branches. Ce courant, particulièrement vivant aujourd’hui, ne cesse d’étonner par sa richesse et son influence discrète sur la vie des idées, initiatiques ou philosophiques.
Six entretiens permettent de donner cette perspective recherchée, de se mettre à distance pour mieux suivre les traces de l’une des aventures spirituelles les plus pertinentes du monde de l’initiation européenne. En suivant le fil d’Ariane de la chronologie historique, Serge Caillet et Xavier Cuvelier-Roy rendent compte d’un mouvement qui conserve une grande cohérence à travers les formes multiples qu’il a su engendrer.
L’histoire du martinisme depuis le XVIIIème siècle tient à la volonté et à l’intelligence de personnalités exceptionnelles, parfois difficiles à saisir comme c’est encore le cas pour Martines de Pasqually, à des rencontres singulières, à des défis spirituels relevés contre toute attente, dans des contextes historiques souvent mouvementés (Révolution française, guerre mondiale de 1939-1945 notamment). Au fil des entretiens, ce que furent ces hommes engagés, héritiers les uns des autres, ce que furent leurs œuvres, leurs écoles, apparaît au lecteur comme les constituants d’un courant majeur de l’illuminisme européen et, au-delà, de la spiritualité européenne.
Six entretiens sont proposés : le siècle des Lumières, la Belle Epoque, les épigones de Papus, la clandestinité et l’après-guerre,  les années 1960-1980, le martinisme à l’ère du Verseau. Le martinisme se définit au fur et à mesure des propos comme une véritable institution intellectuelle, spirituelle et initiatique, qui se méfie paradoxalement de l’organisation et de l’institutionnalisation qui fige le mouvement créatif. Ses ramifications et ses influences sont ainsi multiples, inattendues parfois, de la scène artistique à l’université. C’est aussi la première fois que sont présentés de manière structurée et globale les développements récents du courant martiniste, notamment depuis 1942, date de la restauration coën orchestrée par Robert Ambelain, jusqu’à nos jours.
Cependant, l’intérêt de ce livre n’est pas seulement historique. Aux questions pertinentes de Xavier Cuvelier-Roy, très au fait de la chose, Serge Caillet répond en insistant sur la fonction initiatique et gnostique (véhicule vers la connaissance) du martinisme. Il en précise les universaux comme les nombreuses singularités. Il balaie également quelques préjugés encore tenaces aujourd’hui comme celui qui consiste à opposer théurgie et voie interne et distingue à juste titre les organisations humaines des voies initiatiques. Il conclut ainsi :
« Nous avons parcouru plus de deux siècles d’histoire et… d’histoires. Nous avons rencontré des hommes de désir, qui, faute, d’être de grands initiés (ça ne veut rien dire !) ont été nos compagnons de route tout au long de ces entretiens. Quelles leçons pouvons-nous en tirer, de cette histoire, de ces hommes ? Quelle est, au fond, leur leçon la plus essentielle ?
Nous nous sommes efforcés de dire le vrai, de dire ce que nous estimons être vrai. Pourquoi ? Parce que c’est la vérité qui rend libre. C’est la vérité qui libère, ce qui la rend, d’une certaine façon, similaire à l’initiation. Car l’initiation doit nous libérer de toutes nos chaînes. Le martinisme invite les martinistes, qu’importe qu’ils soient associés en des cercles variés ou asociaux, le martinisme invite les martinistes à s’engager sur le chemin de la réintégration. Ceci implique très clairement pour chacune et chacun d’entre eux de se libérer de toute forme d’aliénation, y compris, de l’appartenance aux ordres initiatiques, qui ne sont que des béquilles, ô combien utiles parfois, j’en conviens, propres à nous aider à retrouver le plein usage de nos jambes, ou de nos ailes ! »
Ce livre, nécessaire, propose également au lecteur de très utiles Annales martinistes des origines à nos jours, un riche cahier photographique et un index bibliographique et des noms.
Editions Le Mercure Dauphinois, 4 rue de Paris, 38000 Grenoble, France.

dimanche 28 octobre 2012

Le Miroir d'Isis, dix ans déjà


Le miroir d’Isis n°19, octobre 2012.
Sous la direction avisée de Clément Rosereau, Le Miroir d’Isis, qui vient de fêter ses dix ans, poursuit son oeuvre de Tradition.
Sommaire : Editorial CdL - Marsile Ficin et le chant orphique par C. de Laveleye - Y a-t-il quelque chose dans l’air? Par Eléonore d’Hooghvorst - Eloge de la légèreté par A. Charpentier - Lilith la rebelle de C. Van Gallebaert - De la foi parfaite selon saint Macaire par T. d’Oultremont - Quelques commentaires taoïstes selon Léon Wieger par C. Rosereau - Le dehors et le dedans de C. Rosereau -La doctrine des Pères de la tradition (6) par C. Froidebise - Le Cosmopolite à la lumière du Message Retrouvé par C. Rosereau - Coups de coeur du Miroir d’Isis : J. Kelen et A. Lepage par C. de Laveleye - Dessins inédits de Louis Cattiaux – Etc.
Nous reprenons ici quelques extraits de l’excellent et très complet travail de Claude Van Gallebaert consacré à Lilith :
« Lilith est souvent représentée sous la forme d’une femme-serpent, au corps couvert d’écailles. Parfois elle est assimilée au serpent de la Genèse, qui est aussi le serpent de l’Initiation et de la Connaissance. Lilith, l'« esprit rebelle », figure donc le modèle de l’Initiatrice, du serpent tellurique et aussi de la Grande Déesse Mère telle qu’elle fut adorée dans l’Egypte ancienne ou dans la religion minoenne, en Crète, jusqu’en 1500 avant J-C.
C’est d’ailleurs, on l’a vu, Bélial qui la surnomme « Celle qui savait », donc l’Initiatrice, celle qui a la Connaissance, la Gnose. Or Bélial est pour l’Eglise chrétienne le souvenir des cultes de l’Antiquité. On voit l’équation : Connaissance, Initiation, Gnose = Serpent, Bélial, Lilith (les forces démoniaques). (…)
Lilith représente les ténèbres, l’obscurité, le noir, la Lune, est entourée du même mystère que les Vierges Noires du Moyen Âge, qu’Isis, Kali, Sarah la noire ou Marie l’Egyptienne. Leurs lieux de cultes étaient d’ailleurs souvent établis sur l’emplacement d’anciens sites initiatiques : nous retrouvons là le lien qui unit les anciennes déesses de vie, de mort et de fécondité aux puissantes énergies associées aux forces telluriques, et donc à des cultes bien antérieurs au christianisme.
Sous un angle plus symbolique, ces personnages ou ces divinités sont les hiérophantes d’une science secrète. Le noir n’est-il pas la première couleur du Grand-Œuvre alchimique, représentant la phase de séparation et de dissolution de la matière ? Pour les alchimistes, ceci constitue une partie très délicate du Grand Œuvre : elle symbolise, entre autres, les épreuves de l’esprit se libérant des préjugés. »
Adresse : Le Miroir d’Isis, Clément Rosereau, 54 bis rue d’Angleterre, F-59870 Marchiennes, France.

Le Nombre créateur


Le Nombre créateur de Julien Behaeghel, MdV Editeur.

Julien Behaeghel nous fait plonger au cœur du symbolisme, à travers l’étude des nombres, le Dieu un, l’eau double, la divine triade, le carré « terre », l’homme-étoile, l’androgyne divin, le septénaire triomphant, le trône octogonal…
Se faisant, il introduit le lecteur dans un rapport opératif au symbole, rapport rarement saisi aujourd’hui :
« Le symbole est l’empreinte du Créateur et à ce titre le symbole est créateur. C’est pourquoi son importance est considérable pour ceux qui désirent connaître l’invisible (dans le sens de naître avec) ou le Grand Tout. Cette connaissance est en fait une communion ou mieux une eucharistie qui opère notre transsubstantiation. Il faut, comme les chrétiens, manger le symbole pour le devenir, c’est-à-dire le comprendre. »
Devenir symbole, l’intégrer totalement à notre vécu, le manifester consciemment, autant de manières de dire ce rapport opératif qui permet d’agir spirituellement et d’atteindre les dimensions métaphysiques ou imaginales du réel.
« Les symboles nous montrent la voie vers le retour à l’unité, vers le Dieu Un, dans et par le mariage des contraires, l’eau et le feu alchimiques, les deux triangles du sceau de Salomon, les Ténèbres et la Lumière à l’intersection de tous les temps. Ils nous permettent de reconstruire le monde d’avant-le-monde, de construire notre temple en devenant les quatre éléments que symbolise le dragon alchimique : l’Air de l’aile, le Feu de la flamme, l’Eau du poisson et la Terre du serpent. »
Il y a une très grande cohérence dans l’exposé réalisé par Julien Behaeghel. Les symboles, ressources inépuisables offrant une infinité d’interprétations emboitées dans la verticalité, dessinent les chemins initiatiques, indiquent les voies d’éveil, les constituent, les créent d’une certaine manière.
« L’essentiel, nous dit-il, est le voyage par et dans le symbole. Manger l’étoile nous fera voir la lumière, celle qui brille au fond du cœur, celle qui illumine et frappe l’œil pour lui révéler les merveilles indicibles de l’invisible.
C’est dans ce sens que le symbole est réellement créateur. Il détruit l’ancien monde pour recréer le nouveau en rassemblant les morceaux épars de l’unité éparpillée dans la multiplicité. Le symbole rassemble pour refaire l’unité ; l’unité première sans laquelle nous ne pouvons pas réintégrer la légèreté de l’Eden, retrouver la nudité de l’homme qui ne connaît pas la peur. La peur essentielle qui noue les tripes, qui paralyse l’être abusé par les mirages de l’illusion terrestre et matérialiste. »
Revenir au centre, se rappeler soi-même, s’extraire de l’accident qu’est le monde, il s’agit bien, par le symbole du retour à la conscience originelle et ultime mais Julien Behaeghel insiste sur la nature alogique du symbole qui lui permet de réunir au lieu de diviser, sur le caractère spiralaire du voyage initiatique vers le centre, sur l’imprévisibilité de la voie qui est aussi liberté. Que cela soit en étudiant la rose crucifiée ou la mandorle, Julien Behaeghel prend garde de ne pas figer le symbole dans une interprétation arrêtée. Il laisse vivre les paradoxes pour en préserver le caractère dynamique et opératif.
« Le symbole créateur nous permet de reconstruire le Ciel et la Terre, à l’exemple du moine tibétain qui, jour après jour, continue la genèse en dessinant son mandala.
Nous savons que le carré est obligatoire, que le manifesté commence par quatre, mais nous savons aussi qu’il nous est possible de sortir du carré, par la croix… c’est notre liberté. »
La séquence nombre-forme-temps, clé de la manifestation, dessine par renversement un chemin de retour à l’Un, à la Lumière et à la Beauté.
MdV Editeur, 16 bd Saint-Germain, 75005 Paris, France.

samedi 13 octobre 2012

Les Leçons de la Haute Magie


Les Leçons de la Haute Magie de Sarane Alexandrian, Editions Rafael de Surtis.
Deuxième livre posthume de Sarane Alexandrian, Les Leçons de Haute Magie viennent éclairer un aspect singulier de la personnalité riche et surprenante du second penseur du Surréalisme après André Breton. La pensée et l’œuvre de Sarane Alexandrian explorent toutes les dimensions de la psyché, à travers l’art et la littérature bien sûr, notamment d’avant-garde, mais également à travers l’érotologie, l’hermétisme et la philosophie occulte. Le choix d’une alternative nomade aux impasses de tous les conformismes ne pouvait que conduire Sarane Alexandrian à l’étude de pensées et praxis autres, constantes cependant de l’expérience humaine.
Les Leçons de Haute Magie font partie d’un ensemble, intitulées Idées pour un Art de Vivre dont elles forment le quatrième volet. Le premier volume, La Science de l’être traite des étapes de l’acheminement de l’être. Le deuxième, Le Spectre du langage, interroge la littérature, l’imaginaire et la poésie. Le troisième, Une et un font Tout aborde la question de la nature féminine, et des fantasmagories des rapports amoureux, question qui trouve son prolongement dans ce quatrième volume. Le cinquième, Court traité de métapolitique, s’intéresse aux travaux de Charles Fourier qui lui était cher, et pose les bases d’une politique transcendante. Le sixième, L’Art et le désir, est consacré à une esthétique ontologique et à une synthèse des arts.
Comme le remarque Christophe Dauphin dans son introduction, cette œuvre se trouve à la croisée de multiples influences, André Breton, Charles Fourier, Aleister Crowley, Cornélius Agrippa notamment mais elle est aussi  porteuse d’une profonde originalité. « Vérités nécessaires » ou « mensonges provoquant la rêverie », l’œuvre de Sarane Alexandrian veut éveiller au réel.
Il distingue non sans pertinence, ésotérisme, hermétisme et occultisme, même si ces distinctions sont parfois difficiles à établir, afin de poser les jalons d’un enseignement qui vise une structure absolue, un principe dégagé des surimpositions culturelles et personnelles. Les Leçons traitent de l’âme et de l’esprit, du monde occulte, de la métaphysique, de la phénoménologie des superstitions populaires, d’une ontologie de la mort, du Rêve de l’Erotisme Mystique de Joséphin Péladan et, enfin, du Livre des Rêves de Luc Dietrich. Les Leçons, apparemment disparates, constituent bien un ensemble cohérent, non destiné à rassurer le lecteur, mais plutôt à le constituer comme un libre aventurier de l’esprit.
On ne suivra pas Sarane Alexandrian sur son peu de considération pour Gurdjieff, son contre-sens, il est vrai courant, sur la quatrième voie, ou au contraire sa surestimation de Papus, certes excellent vulgarisateur et organisateur mais sans doute pas comme il l’avance « meilleur théoricien de l’occultisme qu’Eliphas Lévi ». On appréciera son analyse subtile de ce qui est en jeu dans la nécessité que connaît l’homme d’explorer, parfois avec maladresse, l’invisible, l’inconnu, l’indicible, le néant et la totalité. Le sens de la queste et son intransigeance ont pour corollaire une peur originelle qui pousse l’être humain à s’extraire des conditionnements, à s’affranchir des limites, à traverser, parfois sans ménagement, ce qui se présente, parfois au prix d’une vérité, parfois au prix d’un mensonge salutaire.
Son analyse de la sexualité transcendante de Péladan est très juste, même si Sarane Alexandrian n’arrive pas à discerner clairement entre magie sexuelle, sexualité magique et alchimie interne. Il montre comment Péladan, à travers différents livres, présente les voies de couples et les différentes étapes de celles-ci. Celui qui a « glorifié l’érotisme sacré » ne pouvait que trouver en Sarane Alexandrian un lecteur non seulement attentif et passionné mais capable de le comprendre. L’érotologie de Sarane Alexandrian, le « sceptique intégral » ou le « gnostique moderne » que l’on lit aujourd’hui, n’est pas éloignée de celle de Péladan, « premier représentant de la mystique érotique dans la littérature moderne » qu’on ne lit plus, malheureusement.
Les Leçons de Haute Magie introduisent à de nombreuses dimensions cachées de l’être. Elles témoignent également de la liberté de cet « homme remarquable », au sens le plus gurdjieffien qui soit, qui, en des temps hostiles, a osé traiter avec la distance nécessaire de sujets trop souvent tabous.
Editions Rafael de Surtis, 7 rue Saint-Michel, 81170 Cordes-sur-Ciel, France.

dimanche 7 octobre 2012

Archives de Jean-Baptiste Willermoz


Archives secrètes de la Franc-maçonnerie de Steel-maret, Editions Slatkine.
C’est une réédition attendue. Robert Amadou et Jean Saunier, qui nous ont quittés depuis, respectivement en 2006 et 1992, avaient préfacé cette réimpression de l’édition de Paris, 1893-1896. La première réimpression chez Slatkine date de 1985. Ils ont notamment identifiés les deux auteurs, Marius Boccart et Gervais Bouchet ou Elie Alta. Le volume rassemble une partie des archives de Jean-Baptiste Willermoz : des lettres et surtout des catéchismes et rituels du Régime Ecossais Rectifié dans leurs versions primitives.

dimanche 23 septembre 2012

Carlos Suarès : Qâbala


La Bible restituée de Carlo Suarès, Editions Arma Artis.
C’est une réédition très attendue et, ô combien, nécessaire. L’œuvre, fondamentale, de Carlo Suarès tient une place à part dans le monde de la Tradition. Carlo Suarès s’est employé, ou plutôt consacré, à la libération des enseignements traditionnels des carcans dans lesquels les institutions tiennent à les enfermer. Il a voulu rendre à la vie ce que d’autres figeaient dans des statues mornes et stériles. Pour retrouver le courant, Carlo Suarès cherche naturellement la source. Ici, celle de la kabbale.
Dès l’introduction, par un exemple, il situe clairement la problématique qui est la nôtre :

« Dès le début, la succession Beith-Reisch-Aleph-Schîn-Yod-Tâv, révèle d’une façon éclatante (si l’on connaît la clé de ce code) l’équation primordiale de l’univers et de l’homme en termes d’énergie, tandis que ce schème lu Bereschiyth, quelle qu’en soit la traduction, n’a pas plus de rapport avec ses idéogrammes, réduits à n’être que les initiales de leurs noms, que des mots formés par les symboles chimiques tels que SOC, etc. n’en auraient avec le soufre, l’oxygène, le carbone… »

Cette première remarque met en évidence la grande illusion dans laquelle baigne la presque totalité des sociétés initiatiques qui prétendent s’appuyer sur la kabbale ou qui parsèment leurs rituels de mots de la langue hébraïque dans une parfaite ignorance de ce qu’ils véhiculent.
Cet ouvrage est l’occasion de prendre conscience de ce problème et d’approcher la réalité de ce code chiffré sans lequel toute étude ou pratique kabbalistique est vaine. Carlo Suarès rappelle que les 22 signes de l’alphabet hébraïque forment 28 idéogrammes, 28 symboles, 28 nombres qui expriment certains aspects de l’énergie cosmique. Il insiste longuement sur la place singulière du Aleph. Il prend en compte le fait que « la langue hébraïque s’est constituée en n’utilisant que les premiers phonèmes de chacun de ces idéogrammes (B pour Beith, etc.). » Une lecture non avertie, même lue en langue hébraïque, ne permet pas de saisir « la signification que peuvent avoir des schèmes où chaque idéogramme est maintenu avec sa signification propre».

« Cette entreprise est difficile, poursuit Carlo Suarès. Non seulement chaque idéogramme a un sens, mais il se compose lui-même d’autres idéogrammes, ayant tout leur sens, et qui sont reliés entre eux. Ainsi Beith se compose de Beith-Yod-Tâv. Yod se compose de Yod-Waw-Dâleth, lequel à son tour implique Lâmed, etc.»

Nous avons donc à décoder une cascade structurelle qui développe de manière infinie des niveaux de plus en plus subtils et profonds d’énergie et de sens jusqu’à toucher l’essence. A cette complexité s’ajoute celle induite par la correspondance entre idéogramme et nombre, nombre qui lui-même porte un nom.
Carlo Suarès, qui présente son livre comme une introduction et ne prétend nullement faire le tour de la question, propose trois grandes parties au lecteur. La première partie traite de la nature de la Qâbala, terme privilégié par l’auteur, ses dimensions multiples, ses applications, ses influences, ses investigations, ses interprétations, son caractère insaisissable. La deuxième partie expose succinctement la clé du code chiffré à travers la Genèse. La troisième partie traite du lien entre Qâbala et Gnose.
Dès l’introduction, il s’inscrit dans une indispensable approche non-dualiste et exprime ce qu’énoncent toutes les grandes métaphysiques traditionnelles :

« Entre le Aleph, pulsation discontinue vie-mort-victoire (ou être-néant-être-néant) et le Yod, continuité d’existence, se joue une partie : le jeu de la vie, de la mort et de l’existence, dans lequel les deux partenaires jouent l’un contre l’autre (sans quoi il n’y aurait pas de jeu). Mais ils misent tous deux le même enjeu : l’indétermination, le 7, le 70, le 700, que la Qâbala voit partout, dans le tréfonds du mouvement atomique, dans les galaxies, comme dans les impondérables qui constituent notre psyché. Découvrir le 7, 70, 700 en nous c’est nous ouvrir à la merveille de cette révélation, c’est percevoir d’un seul coup le prodige des apparences qui, de l’indifférencié primordial à l’indéterminé final, consomme toute la durée et nous transforme en êtres libres. Dès lors, le dualisme de notre pensée ne pose plus ses problèmes. »

Plus loin dans le livre, il précise encore :

« Une vérité fondamentale qui ne cesse d’être affirmée dans le Livre de la Genèse est que la vie, aussi bien à l’intérieur de ce contenant (Beith) qu’au dehors, est inconnaissable et immesurable. Si nous comprenons ce que cela implique, nous nous connaissons nous-mêmes et Beith est ce que nous sommes.
Donc nous ne possédons aucun des attributs rédempteurs de « spiritualité » qu’inventent les esprits en quête d’évasions.
Il n’y a pas de dragons obscurs en nous qu’il nous faut combattre, ni un mal qu’il nous faut vaincre. Et aucun régime alimentaire, aucune discipline physique ou psychique ne peuvent nous faire « évoluer » vers une pleine réalisation de nous-mêmes.
Ces efforts et ces luttes, quel que soit leur motif conscient, ont pour but d’instaurer une continuité d’existence et sont, de ce fait, perfidement en opposition à la pulsation discontinue de la vie qui est en nous, laquelle ne peut avoir son « être » qu’en une fraîcheur toujours neuve de morts et de résurrections. Cette vie, dans le livre de la Genèse, se nomme Aleph. »

Ce travail qui exige une étude, non une lecture, est indispensable à qui veut faire vivre réellement les outils de la kabbale. Il entrouvre la porte des mystères premiers et derniers. L’essentiel donc.
Editions Arma Artis, BP 3, 26160 La Bégude de Mazenc.

lundi 27 août 2012

Les rites maçonniques égyptiens au Grand-Orient de France


Le Rite Egyptien au Grand Orient de France, une voie spirituelle de Christian Perrotin, Editions Dervy.

Que faut-il penser d’un ouvrage préfacé par Alain Bauer, un éminent « monsieur Sécurité » de Nicolas Sarkozy, par ailleurs Franc-maçon actif, et postfacé par l’un des hermétistes les plus rigoureux et les plus intéressants d’Europe, François Trojani. Ce grand écart, dans lequel s’insère le travail de Christian Perrotin, indique très exactement la problématique posée par le récent intérêt du Grand-Orient de France pour les rites maçonniques égyptiens.
Le livre d’abord : Christian Perrotin offre un travail synthétique de qualité, désireux de donner une cohérence, et c’est louable, à la démarche.
Le sommaire insiste sur les éléments historiques et introduit aux sujets de fond : La relation de l'homme à la nature, à l'univers, à la divinité - 1862, le Grand Orient de France accueille le Rite Ancien et Primitif (Contexte historique / Contexte maçonnique / Les débuts du Rite Égyptien / Le Rite de Memphis / Le Rite de Memphis intègre le Grand Orient de France / Transmission du Rite de Memphis en 33 degrés aux États-Unis, à l'Angleterre, à l'Irlande / Le Rite de Misraïm intègre le Grand Orient de France / La réunion des rites de Memphis et Misraïm)  - Histoire récente du Rite au sein du Grand Orient de France (Les raisons du réveil du Rite Égyptien au Grand Orient de France / Les modalités de réveil du rite / Les étapes réalisées) - Spiritualité et hermétisme au Grand Ordre Égyptien du Grand Orient de France (Démarche initiatique et démarche sociétale s'opposent-elles? / Les outils du franc-maçon / L'Égypte ancienne / La Grèce antique / La Renaissance / L'astrologie / La kabbale / L'alchimie - Relations avec les autres rites…
Le point historique essentiel, très détaillé dans ses pages, reste le réveil des rites égyptiens au sein du Grand-Orient de France à partir d’une filiation américaine du Rite de Memphis en 33 degrés venue de Harry J. Seymour en 1862, rite que John Yarker devait plus tard remodeler.
L’ouvrage rend compte dans le détail du « réveil » au sein du G :.O :. De F :. de ce rite. Il y est question beaucoup d’administration, de points de légalité maçonnique et, avant tout, de politique et de diplomatie. « Décider du réveil d’un rite est un acte politique majeur » explique l’auteur. Or, il n’y a rien de plus toxique pour l’initiation que la politique.
Venons-en à la problématique de ce réveil et à l’auto-légitimisation douteuse qui nous est proposée par le Grand-Orient. Il y a d’abord les raisons qui justifient ce réveil. Le Grand-Orient aurait pris acte de la déliquescence des rites égyptiens suite à l’éclatement bien réel de l’Ordre de Memphis-Misraïm. Il se pose ainsi en « sauveur » des rites égyptiens. C’est oublié bien vite que l’histoire des rites maçonniques égyptiens depuis deux siècles fut toujours très agitée, sans que cela ne nuise à leur permanence et à leurs travaux. La culture maçonnique égyptienne, qui est, ne l’oublions pas, au service de praxis rigoureuses (notamment inscrites dans les quatre derniers grades de l’Echelle de Naples), supporte certes mal les lourdeurs administratives, les protocoles et procédures, le nombre et les visions conformistes, mais elle est éminemment vivante et n’a aucunement besoin d’être sauvée, surtout par un carcan administratif comme savent si bien en construire les grandes obédiences. Quelles garanties de stabilité celles-ci offrent-elles ? Faut-il rappeler les pugilats aux convents annuels du G :.O :., qui aboutissent devant les tribunaux profanes, les luttes de pouvoir, les problèmes de gestion… ? Il n’y aurait pas d’agitation au Grand-Orient de France ? D’ailleurs, après seulement quelques années d’activité, Christian Perrotin avoue déjà avoir dû faire face au sein de son rite à quelques remous qu’il attribue curieusement à « d’anciennes habitudes du rite », plutôt qu’aux conditionnements courants de l’humain, maçon ou non.
Les reproches faits aux rites maçonniques égyptiens historiques par le G :. O :. sont légion. Nous trouvons, pêle-mêle : le système traditionnel pyramidal, la cooptation, la non-séparation des pouvoirs entre les grades bleus et les hauts grades, l’absence d’obédience… auquel Christian Perrotin oppose le vote démocratique et l’élection. Curieusement, les protagonistes de cette aventure prône l’élection par vote démocratique, pourquoi pas l’élection véritablement traditionnelle qui est, rappelons-le un tirage au sort.
Citant Ludovic Marcos et Jean-Louis de Biasi, est dénoncé également « Le parasitage de la maçonnerie égyptienne par des structures qui lui sont étrangères… ». Il évoque ainsi « les liens avec les systèmes paramaçonniques, qui n’ont rien d’historiques si l’on remonte aux fondateurs des différents rites égyptiens… ». Nous pouvons supposer qu’il s’agit des ordres rosicruciens, martinistes, pythagoriciens, égyptiens non maçonniques ou autres, dont les membres n’ont cessé de croiser les rites maçonniques égyptiens pour tisser ensemble toute l’histoire de l’hermétisme européen depuis plus de deux siècles. Plusieurs responsables de ce réveil des rites égyptiens au sein du G :.O :. ont d’ailleurs des appartenances voire des responsabilités aujourd’hui même au sein de ces systèmes dits « parasites ».
Il ne s’agit pas de douter de la sincérité de la démarche des frères qui se sont lancés dans ce projet. Nous mettons en évidence ici les contradictions que soulèvent les raisons avancées pour justifier de ce projet. L’obédience politique du G :. O :. de France a vu dans le morcellement actuel d’un OMM qui avait grandi trop vite et abusivement (de l’aveu même de Gérard Kloppel), cause principale de son éclatement, une opportunité d’occuper l’espace et de s’approprier les rites égyptiens. Car en effet, le G :.O :. condamne globalement tous les rites maçonniques égyptiens dans le monde, et prône l’adoption par tous du modèle administratif du G :. O :., seul capable d’apporter « la sérénité », alors que certaines branches égyptiennes étaient déjà actives quand le G :.O :. de France prenait difficilement forme. Nous avons une sorte d’Offre Profane d’Achat sur un rite initiatique ancien.
Il y a toutefois un point très positif dans ce projet. On parle enfin très officiellement dans les temples du G :.O :. de kabbale, d’alchimie, d’astrologie… de ces sciences et arts traditionnels qui ne sont au mieux rue Cadet qu’un sujet d’études historiques. Il est difficile de dire ce que ce projet donnera à moyen terme, la présence de François Trojani en fin d’ouvrage et la bonne volonté d’un grand nombre de frères, suscitent quelques espoirs. Ce que l’on peut toutefois affirmer, c’est que les rites maçonniques égyptiens, hors G :. O :., poursuivent le travail hermétiste opératif, dans des conditions semblables à celles des deux siècles précédents, c’est-à-dire loin du nombre et de la contrainte administrative, et ce malgré les inévitables agitations humaines.
La question de la légitimité historique ne mérite même pas d’être abordée. En matière d’hermétisme, la légitimité est seulement opérative et silencieuse.
Editions Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.

vendredi 17 août 2012

Le Tableau de Loge (suite)


Le plan secret d’Hiram. Fondements opératifs et perspectives spéculatives du tableau de loge de Jean-Michel Mathonière, Editions Dervy.
Jean-Michel Mathonière est un historien du Compagnonnage et plus particulièrement des Compagnons tailleurs de pierre. Vous trouverez ses travaux sur le site www.compagnons.info
Ce travail fut publié une première fois en 1998 à La Nef de Salomon sous le nom d’emprunt de Marc-Reymond Larose.
Jean-Michel Mathonière insiste sur « la nécessité » de ne pas confondre compagnonnage et franc-maçonnerie, sur le fait qu’il s’agit de sociétés initiatiques qui sont très différentes l’une de l’autre et que leur « parenté » est davantage illusoire que réelle ». Son essai, qui traite du tableau de loge tant du point de vue spéculatif que sous l’angle opératif, n’en est que plus intéressant. Il évite les « terribles simplifications ».
Le tableau de loge tient une place essentielle dans le rituel maçonnique. Il est à la fois la synthèse et le révélateur des arcanes du rite, de manière plus ou moins marquée d’un rite à l’autre. Jean-Michel Mathonière note une certaine confusion quant aux interprétations d’un même tableau là où la cohérence est attendue. Il pose d’abord la question « de la nature réelle de la relation opératif/spéculatif » et cherche à clarifier les relations, les influences, les emprunts ou les usurpations entre Franc-maçonnerie et Compagnonnage. Il se demande notamment « si le tableau de loge maçonnique ne résulte pas d’une superposition/confusion de deux éléments à l’origine distincts dans le cadre opératif : le tracé géométrique sacramentel et le tableau emblématique (Rôle) de la société. ».
Après un rappel iconographique qui met en évidence la complexité de la question, il étudie la structure géométrique et spatiale du tableau de loge, les éléments du tableau dans une structure de plans superposés (plan spatial et cosmologique, plan architectural, plan « opératif », plan religieux), la planche à tracer des maîtres ou le plan de la Jérusalem Céleste et enfin le tableau de loge en tant que système d’art de mémoire. Son propos, rigoureux, permet de rectifier nombre d’erreurs courantes en loge ou dans des ouvrages maçonniques de référence. Exemple :
« Le petit édifice représenté au centre du tableau est unanimement interprété comme étant la figure de la Chambre du Milieu, lieu où se réunissent les Maîtres Maçons – ce qui permet d’assurer le fragile lien avec le troisième degré.
En réalité, dans le contexte opératif, l’absurdité de cette interprétation ne fait aucun doute : il s’agit en fait de la représentation d’une maquette d’architecture, celle du temple, et donc par analogie, du temple lui-même (que ce soit celui de Salomon, celui du Christ ou celui à venir). Ce qui implique que, de ce point de vue, la loge ne se tient pas dans le temple, mais sur le chantier qui est autour de lui, et que les Maçons assemblés ont comme préoccupation centrale le projet d’un édifice (maquette, planche à tracer, règle et Géométrie occupent le centre-Milieu du tableau). »
Une lecture attentive de ce travail, conjointe aux deux ouvrages que nous vous avons déjà présentés, Voyages dans les Tableaux de Loge, histoire et symboles de Dominique Jardin, Editions Jean-Cyrille Godefroy et Anatomie des tableaux de Loge, sous leurs formes symboliques et allégoriques de Percy John Harvey, Editions Dervy, permettra de renouer avec la fonction du tableau de loge qui est de fixer l’orientation, que cela soit dans un procès spéculatif ou dans un procès opératif.
Editions Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.

jeudi 16 août 2012

" Opérons-donc ! "

Louis-Claude de Saint-Martin et les Anges de Jean-Marc Vivenza, Editions Arma Artis.
Nous émettrons un avis partagé sur ce travail. D’une part, il offre un exposé utile et nécessaire de l’angéologie saint-martinienne qui diffère notablement des angéologies classiques. D’autre part, il insiste avec justesse sur la traversée des formes dualistes pour atteindre la conscience non-duelle originelle avec une très bonne intuition quand il fait référence aux « deux néants » de Maître Eckhart. Jean-Marc Vivenza pressent l’enseignement de Saint-Martin comme une possible voie directe, ce que nous avons-nous-mêmes établi à plusieurs reprises et en différents cadres.
Mais, il ouvre malheureusement avec ce livre une polémique aussi stérile que regrettable. En effet, il reprend un propos hostile à la théurgie de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers et, plus largement, hostile à la pratique théurgique en général qu’il avait développé sur son site. http://www.societedesindependants.org/
Son argumentation, souvent brillante (nous avons déjà énoncé ici toutes les qualités de l’auteur), puise dans la théologie et se révèle dogmatique dans son expression or nous savons combien la théologie sait se transformer par le dogme en un étouffoir de la Gnose.
Nous opposerons à ce trait regrettable et radical, un autre texte, de Robert Amadou cette fois, qui vient heureusement d’être publié par Renaissance Traditionnelle dans sa dernière livraison (n°165-166). « Opérons-donc ! », c’est le titre du texte en question, fut confié par Robert Amadou, entre autres instructions, à trois instances coëns à qui il demanda, avec force, de reprendre les opérations des Elus Coëns dans les années 1990 car, disait-il, « Il y a urgence. ». Ce texte fait encore partie aujourd’hui du Livret d’Accueil des Elus Coëns de la Loge-Mère Marie de Gonzague de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers[1]. Il est d’autant plus regrettable que Jean-Marc Vivenza cite à plusieurs reprises Robert Amadou pour appuyer sa thèse, alors même que celui-ci appela avec insistance, avec la prudence qui s’impose, à la pratique théurgique que cela soit celle de l’Anacrise[2], elle aussi suspectée par Jean-Marc Vivenza, ou celle structurée par Martines de Pasqually[3].
Si Louis-Claude de Saint-Martin a abandonné la théurgie coën, ce n’est qu’après avoir réalisé avec succès la totalité des opérations, opérations certes fort complexes, ce qui aura notamment contribué à son passage opératif « à l’interne ». On ne peut abandonner que ce que l’on détient et maîtrise, sinon ce n’est que renoncement. D’une manière semblable, ce serait une erreur de penser que la mystique d’un Jacob Boehme ne prend pas appui sur un travail opératif en laboratoire. Certains textes du second maître de Louis-Claude de Saint-Martin constituent des guides parfaits pour l’alchimie en laboratoire. Si nombreux sont ceux qui confondent les moyens habiles ou « plus qu’habiles » avec la finalité de la queste, Jean-Marc Vivenza tend à confondre la finalité et le moyen en faisant de l’ultime dénuement d’un Saint-Martin, la seule pratique véritable. C’est oublier qu’en Occident comme en Orient, très rares sont ceux qui tombent dans le Grand Réel sans cheminer de manière serpentine. L’argument principal de Jean-Marc Vivenza relève du dogme. Depuis la venue du divin réparateur, les aspects formels seraient en quelque sorte caducs. Il y a là une vision linéaire, temporelle et historique de ce qui traite des états de la conscience jusqu’au « retour » à la conscience originelle. De même, il reste dans une vision courante, assez maçonnique en fait, mais erronée, de la théurgie qui chercherait à « obtenir » alors qu’il s’agit, et c’est particulièrement vrai pour le Culte primitif des Elus Coëns, d’une célébration de ce qui est. Plus encore, il convient de rappeler que c’est moins ce que l’on pratique que la manière dont on le pratique qui se révèle déterminant. Il n’y a pas des objets initiatiques et des objets non initiatiques. Tout un chacun peut, hic et nunc, établir un rapport initiatique (c’est-à-dire non-duel) avec tout objet ou toute pratique.
Seuls ceux qui ont conduit à leur terme, non pas une mais plusieurs fois, la totalité des opérations du sacerdoce coën, restent habilités, avec une nécessaire réserve, à accompagner et commenter cette haute théurgie que Jean-Marc Vivenza voudrait réduire finalement à une magie un peu plus qu’ordinaire. Dans cette condamnation, c’est d’ailleurs tout l’hermétisme européen qu’il rejette. Il reconnaît toutefois du bout des lèvres, ou de la plume, la fonction essentielle de l’intention. C’est en effet, l’intention (le Soi), mais aussi l’Orient (le Soi encore), qui détermine l’axialité d’une pratique.
Ce serait toutefois une erreur de rejeter le travail de Jean-Marc Vivenza dans sa totalité, particulièrement quand il traite des conditions de l’initiation. En insistant sur les préalables à toute théurgie il fait un nécessaire rappel. Nous serons probablement d’accord avec lui pour énoncer que le silence est à la fois l’indispensable condition pour opérer et le lieu-même de l’opération qu’elle soit externe, interne ou ultime. De même, il convient effectivement de ne pas s’attarder sur le phénoménal pour tendre vers l’essence mais le phénoménal est une langue à découvrir, à nous de savoir lire. Et oui, il faut s’affranchir des noms pour atteindre au sans-nom.
Nous invitons ceux qui se sentent concernés par la théurgie coën à une lecture comparée du texte de Jean-Marc Vivenza (pour ses qualités informatives et en écartant les crispations théologiques) et de celui de Robert Amadou (pour son ouverture théurgique avertie), ce sera un excellent exercice pour déterminer s’ils sont prêts à s’engager dans un chemin long et difficile. En effet, il existe d’autres chemins…
« Opérons donc ! »

Renaissance Traditionnelle n°165-166, Actes du Colloque du Tricentenaire de Martines de Pasqually.
Sommaire : Martinès de Pasqually, éléments biographiques par Michelle Nahon - Martinès dans la quête maçonnique du XVIII° siècle : le cas des Philalètes -Découvertes et hypothèses à propos de nouvelles copies par Alain Marchiset et Pierre Mollier - Martinès à l'oeuvre dans la chose : l'Ordre des Elus coëns par Serge Caillet - Louis-Claude de Saint-Martin à l'école de Martinès de Pasqually ; Jean-Baptiste Willermoz à l'école de Martinès de Pasqually : genèse du Régime Ecossais Rectifié par Jean-Marc Vivenza - Sacerdoce du Christ : sacerdoce primitif selon Martinès de Pasqually et sacerdoce des baptisés, par Jean-François Var - Don Martinès de Pasqually, le Rapport Zambault (1766) par Robert Amadou -Opérons-donc ! par Robert Amadou.
Renaissance Traditionnelle, B.P. 161, 92113 Clichy cedex, France.



[1] Pour en savoir davantage sur cette « seconde restauration coën », reportez-vous à la préface de Rémi Boyer au livre Le Grand Manuscrit d’Alger, tome 1 de Georges Courts, publié chez Arqa.
[2] La pratique de l’Anacrise fut proposée avec succès dans certains ordres martinistes, en France, en Italie, au Portugal et en Grande-Bretagne notamment au cours des deux dernières décennies.
[3] Les archives du CIREM conservent plusieurs centaines de lettres de Robert Amadou dont environ deux cents concernent la théurgie coën et l’organisation d’un groupe compétent pour la pratique du culte primitif.

mercredi 15 août 2012

Alchimie : Les Epîtres d'Ali Puli


Les Epîtres d’Ali Puli, Centrum Naturae Concentratum, Sesheta Publications.
La publication de cet essai peu connu sur le Sel met pourtant à notre disposition un texte qui servit de référence chez les alchimistes des XVIIIème et XIXème siècles. La première version imprimée date de 1682, il y en eut plusieurs avant celle de J.W. Hamilton-Jones, datée de 1951, ici traduite. J.W. Hamilton-Jones, affirme se baser sur un manuscrit de 1735.
Le traité est consacré au Sel Régénéré. Dans son introduction, J.W. Hamilton-Jones insiste sur les trois pouvoirs recherchés par l’action du Sel, un pouvoir thérapeutique, un pouvoir transmutatoire actif sur les métaux, un pouvoir de réalisation du Soi.
« Selon mon point de vue, dit-il, ces papiers devraient être étudiés par les amoureux de cette Science, non seulement selon un aspect Spirituel, mais ils peuvent aussi être interprétés physiquement. Il y a des superstructures dans cette Science, qui sont tout autant Célestes que Terrestres, et une compréhension des opérations de la Nature dans son travail physique, peut sans aucun doute assister notre esprit, dans la compréhension des aspects Spirituels, parce que le Macrocosme et le Microcosme sont identiques sur tous les plans sauf en ce qui concerne les degrés. Il n’est pas nécessaire d’être un chimiste qualifié pour suivre et comprendre l’Alchimie. (…)
Avec cet ouvrage comme livre de chevet, on peut suivre la recherche à travers des anciens auteurs, avec des bénéfices considérables et un gain de temps non négligeable. Tous les vrais chercheurs disent qu’il y a trois aspects à ce travail. La teinture physique donne la santé et la longue vie (jusqu’à ce que Dieu rappelle l’âme). Il donne aussi une base pour la transmutation des métaux imparfaits en or et en argent et la possibilité de dissoudre toutes les substances, y compris la plus dure de toutes, le diamant.
Le troisième pouvoir est spirituel et concerne le soi Divin dans l’homme. C’est l’aspect de la Pierre Philosophale dont tous les meilleurs auteurs ont parlé, de préférence aux bénéfices mondains qui sont, dans tous les cas, transitoires, tout comme la vie dans le corps physique est temporaire. »
Le traité, très classique en son approche, offre en effet suffisamment de clarté pour éviter de se perdre dans nombre de textes confus. Avec ce nouveau titre de la Collectanea Rosicruciana, les Editions Sesheta poursuivent avec bonheur leur remarquable projet d’édition de textes rares et nécessaires.
Sesheta Publications,  2 bis rue Damiette, 76000 Rouen, France.

mardi 7 août 2012

Isis et les Enfants de la Veuve


Les Francs-maçons « Enfants de la Veuve » et les mystères d’Isis par Elvira Gemeinde, collection Les Symboles Maçonniques, MdV Editeur.
La permanence de la tradition isiaque trouve l’un de ses prolongements en Franc-maçonnerie, en maçonnerie égyptienne d’évidence mais aussi plus généralement comme en témoigne l’expression « les Enfants de la Veuve » qui désigne aussi les Enfants d’Isis.
Elvira Gemeinde s’intéresse à deux questes essentielles du mythe d’Isis, la recherche du coffre dans lequel le corps d’Osiris fut enfermé par Seth avant d’être jeté dans le Nil, puis la recherche des membres dispersés d’Osiris découpé par Seth en 14, 16 ou 42 morceaux.
La Veuve est celle sans qui le dieu Osiris demeure cadavre (ce qui évoque Shakti et Shiva dans les spiritualités de l’Inde). Elle est le vecteur de la résurrection, un vecteur permanent de tradition en tradition jusque dans le mythe d’Hiram. Elvira Gemeinde voit dans l’expression forte « les Enfants de la Veuve » un rappel à l’indispensable polarité féminine. Elle note que dans le mythe, la « mort » est « inertie, isolement, lassitude et dispersion » soit une perte d’axialité. La Veuve connaît « ce qui n’est pas encore venu à l’existence, c’est-à-dire l’énergie qui demeure une potentialité, elle sait faire apparaître cette énergie en lui donnant forme ; elle possède le moyen de maintenir la vie en la régénérant. ».
Isis, guerrière et magicienne, symbolise aussi l’alternative nomade, le voyage initiatique qui lui permet « de rassembler les membres dispersés de son époux et lui rendre son intégrité ; en faisant cela, elle relie les villes entre elles et reconstitue le corps symbolique du dieu ».  Rassembler, réunir, réanimer sont les trois temps de l’œuvre isiaque, un procès alchimique dans lequel larmes, souffle, sang, verbe, semence et lait, notamment, sont des composants essentiels.
En faisant lien entre la tradition isiaque et la tradition maçonnique, Elvira Gemeinde oriente le lecteur vers une interrogation enrichie des symboles maçonniques, eux aussi trop souvent inertes dans le temple. Ce livre est l’occasion de les rendre vivants par l’action de la « Dame de l’Acacia ».
MdV Editeur, 16 bd Saint-Germain, 75005 Paris, France.

lundi 6 août 2012

Le dépouillement des métaux


Le dépouillement des métaux et l'alchimie du Temple de François Ariès, collection Les Symboles Maçonniques, MdV Editeur.
Sujet d’études courant en loge, la question du dépouillement des métaux est trop souvent traitée avec une déplorable banalité. Il s’agit pourtant de bien autre chose que le simple détachement des biens matériels. Ce livre propose une investigation hermétiste du thème, rappelant la place particulière prise par les maîtres de forge dans les sociétés traditionnelles. L’auteur fait parler les mythes, porteurs d’un enseignement sur les métaux, nés dans les entrailles de la terre. Il s’appuie sur les correspondances classiques entre métaux, dieux et centres énergétiques en l’homme. Il met en avant les principes de l’alchimie opérative pour développer la notion, intéressante pour la Loge, d’alchimie communautaire « c’est-à-dire en tant que science sacrée dont les symboles jalonnent un chemin de Sagesse. »
Et François Ariès de préciser :
« Il est intéressant de noter que le mot « communautaire » serait formé de la particule latine munus, qui signifie « appartenir à plusieurs personnes ou à plusieurs choses », particule issue elle-même d’une racine indo-européenne, mei, signifiant « muer », « changer ». La véritable alchimie ne serait-elle pas en définitive essentiellement communautaire ?
L’alchimie, c’est, d’une certaine manière, prendre ce qui est du temps et en tirer ce qui est de l’éternel. Peut-être n’y a- t-il rien de plus éternel que la création du monde, cet instant où le temps se crée et où l’éternel crée l’espace pour y déployer sa manifestation. »
Cette alchimie ne s’oppose pas à une alchimie solitaire, interne ou de laboratoire. Les deux approches deviennent une dans une vision solaire de l’initiation :
« Selon Jacob Böhme (1575 – 1624), théosophe et mystique allemand, le soleil extérieur a soif du soleil intérieur. Chaque membre de la confrérie est le rayon d’un soleil central d’où tout provient. Celui qui vit de l’éclat du soleil chemine en paix sur les eaux et s’unit au rayonnement des bienheureux. Placée dans les yeux de l’initié, la lumière lui permet de marcher dans la nuit comme en plein jour. »
L’auteur délivre de nombreux éléments pour revivifier le rituel et réhabiliter le travail. Pour cela, plutôt qu’à l’étymologie latine, « tripalium qui signifierait « supplice » », il préfère se référer à l’étymologie de l’Egypte ancienne, au « kat, c’est-à-dire ce qui donne du ka au plus haut niveau, l’énergie royale » pour substituer la sacralisation à la souffrance.
MdV Editeur, 16 bd Saint-Germain, 75005 Paris, France.
         

dimanche 29 juillet 2012

Règle de l'Ordre du Temple



La Règle du Temple publiée par Henri de Curzon, Editions Arma Artis.
Cette réimpression de l’édition faite à Paris en 1886 est bienvenue. Elle fut préparée à l’occasion d’une intervention de Jean Poyard sur le thème du « Message spirituel des Templiers » au centre Pradel Association au Poët-Laval, au pied de la Commanderie des Chevaliers Saint Jean de Jérusalem, le 23 juin 2012.
La Règle est l’œuvre de saint Bernard qui en fut l’inspirateur ou peut-être même en dicta le texte au scribe ou rédacteur, Jean Michel. Les liens entre Templiers et Cisterciens furent étroits. La Règle du Temple fut ainsi souvent publiée avec la Règle de saint Benoît. Elle s’inscrit dans la grande tradition des règles chevaleresques et ne s’éloigne pas de celles des Chevaliers de l’Hôpital et se révèle très proche de celle des Chevaliers Teutoniques. Son étude permet d’ailleurs de comprendre l’organisation intérieure de l’Ordre des Templiers mais aussi de l’Ordre des Teutoniques.
Nombre de Chevaliers étaient illettrés, les devoirs religieux comme la présence aux messes constituent donc un élément essentiel de leur formation de chevalier chrétien. La Règle est exigeante et comporte de nombreuses obligations qui rappellent la vie monastique. Il existe une ascèse templière quotidienne. Cependant, la Règle donne également un cadre à la plupart des activités humaines en temps de paix et en temps de guerre. Elle pose aussi les bases de l’organisation sociale et matérielle de l’ordre.
Un chapitre en fin d’ouvrage est consacré au cérémonial, fort simple, de réception d’un frère dans l’ordre.
Cette réédition est l’occasion de revenir aux sources et de s’approprier les bases d’une connaissance non fantasmée sur l’Ordre du Temple, préalable indispensable à qui veut étudier l’histoire, le mythe et la tradition des Templiers
Editions Arma Artis, BP 3, 26160 La Bégude de Mazenc.

mercredi 6 juin 2012

Marie-Madeleine


Marie-Madeleine à la Sainte-Baume de Jean-Yves Leloup, Les éditions du Relié.
Jean-Yves Leloup vécut longuement à la Sainte-Baume quand il était directeur du monastère dominicain. Pendant dix années, Il fut à même de s’imprégner des lieux, de cette forêt inattendue dans le paysage du sud-est de la France comme de la grotte où Marie-Madeleine se retira pendant trois décennies. Devenu un haut lieu de la spiritualité, notamment pour les Compagnons, qui vénèrent Marie-Madeleine, la Sainte-Baume, temple naturel, demeure à la fois inaccessible et profondément intime avec chacun.
Le texte de Jean-Yves Leloup, superbe de poésie et de profondeur, se révèle profondément non-dualiste et touche au cœur même de la métaphysique chrétienne en même temps qu’il exprime la claire lumière de l’éveil.
« Ce qui est, c’est la chose, sa représentation et sa non représentation ; c’est le Réel et les réalités qui le manifestent et ne le manifestent pas entièrement. De nouveau elle acceptait « tout » : la chose, son regard sur la chose, le regard des autres, plantes, bêtes et hommes sur la chose, le regard de Yeshoua, le regard de Je Suis, de l’Être au cœur des choses.
De même qu’à certains moments, sa respiration rejoignait le Souffle infini (l’infini d’où vient l’inspir – l’infini où va l’expir), sa vision participait à la conscience infinie dans laquelle apparaissent et disparaissent les mille et une choses.
De même qu’elle « assistait » à l’intérieur d’elle-même à l’apparition et à la disparition de ses pensées dans le clair silence, de même elle « assistait » à l’extérieur à l’apparition et à la disparition des univers dans le clair silence. Le clair silence, elle le ressentait dans des instants de plus en plus longs comme sa véritable demeure. »
Jean-Yves Leloup met en évidence cet art, que nous retrouvons dans la prière du cœur, qui consiste à faire en Son Nom, au nom de l’Enseigneur, c’est-à-dire non pas selon une quelconque délégation mais bien à l’intérieur de Son Nom, au cœur de Son Nom :
« Qu’est-ce qui règne sur moi ? pensait-elle. Quel est véritablement le Maître de mon désir ? et aussitôt elle se joignait à la prière de « Yeshoua » - Je Suis » présent en elle : « Que ton Règne vienne », c’est-à-dire que Ton Esprit, Ton Souffle de liberté m’anime, que je ne sois l’esclave ni de moi-même (de mes pensées, de mon passé) ni de personne. Que je n’obéisse qu’à l’Amour, que ce soit la volonté de la Vie qui se fasse, qui se réalise en moi…
Et de nouveau, elle invoquait le Nom, elle « s’ajustait » à la Présence de « Je Suis » en elle, afin qu’il établisse son règne dans toutes les dimensions de son être : charnelles, affectives, mentales et spirituelles. Elle cherchait d’abord cela, qui est partout et toujours présent ; en Sa Présence, dans Sa lumière et Son Amour, tout lui était donné par surcroît. »
Cette femme, qui a manifesté et perçu la dimension féminine du divin, sans doute même avant d’oser la penser, a réalisé la voie, qui est toujours une simplification, par la dépossession, le dénuement, la pauvreté, laissant émerger la « femme sauvage », libre des conditionnements, par un rappel permanent au Soi, à sa Présence :
« Elle comprenait maintenant. « Je Suis » est le pain de vie : si elle se tenait en Sa Présence, comme Lui se tenait en Présence de la Conscience infinie qu’il appelait Son Père, elle serait nourrie « corps, âme, esprit ». C’est ainsi qu’elle commença à invoquer Son Nom, « Yeshoua », sur le rythme même de son souffle… Les effets ne se firent pas attendre – Yeshoua, « Je Suis » demeurait vraiment en elle, calmait toutes ses faims, toutes ses inquiétudes.
Elle affrontait chaque épreuve en Sa Présence, une épreuve à la fois, une souffrance à la fois, un plaisir à la fois… sans se soucier de ce qui allait venir. Ce qui allait venir était encore du présent, une occasion d’être avec « Je Suis », en Sa présence…
Demain n’existe pas, n’a jamais existé, comme hier n’existe pas, n’a jamais existé. Il n’y a jamais eu qu’aujourd’hui ; hier, lorsque je l’ai connu, était comme « aujourd’hui » ; demain, je ne pourrai le connaître que comme « aujourd’hui ». On ne peut aimer qu’au présent. Dire : j’ai aimé, c’est ne plus aimer ; dire j’aimerai, ce n’est plus aimer encore. »
Si Marie-Madeleine expérimenta toutes les dimensions de l’amour, dans les larmes et dans la jouissance, par le corps comme par l’esprit, elle réussit à traverser l’apparaître pour s’établir en un amour sans objet, un amour absolument libre.
Les éditions du Relié, 27 rue des Grands Augustins, 75006 Paris.


mardi 5 juin 2012

Bruno Etienne et la Franc-maçonnerie


La voie et l’engagement, fragments maçonniques de Bruno Etienne, Editions Entrelacs
Bruno Etienne (1937-2009) politologue et anthropologue fut un Franc-maçon lire penseur, membre du Grand-Orient de France, dont les cours et les textes ont marqué nombre d’individus en quête.
Son œuvre maçonnique, publiée essentiellement dans des revues comme La Chaîne d’Union ou Le Maillon et rassemblée pour la première fois dans ce volume, invite tantôt au silence, clé de voûte du procès initiatique, tantôt à faire penser, sortir des sentiers battus, bousculer les préjugés, nombreux, qui brouillent les pistes. Cet homme et ce frère, d’une grande rigueur intellectuelle et animé d’une passion non moins grande, n’eut de cesse que d’interroger les évidences. En cela il fut philosophe, au sens initiatique du mot, soit quelqu’un qui vit en philosophe.
Les thèmes traités sont très variés, mais avec une égale exigence. Le premier texte traite de La Franc-maçonnerie dans le champ de l’anthropologie religieuse. Bruno Etienne répond à plusieurs questions :
-       La Franc-maçonnerie est-elle une confrérie ?
-       Qu’est-ce qu’un ordre ?
-       Secte et société secrète.
Il poursuit son investigation anthropologique de la Franc-maçonnerie dans une autre étude intitulée Propos épars et méthodiques sur l’initiation. Plusieurs distinctions sont abordées comme rites de séparation et rites d’entrée, mais aussi initiations tribales, initiations religieuses, initiations magiques. Il s’intéresse ensuite aux différents types d’interprétation : intelligence du caché, sortie du rêve infantile d’un monde non désenchanté, interprétation psychanalytique. Nous n’avons pas avec Bruno Etienne d’approche opérative et métaphysique traditionnelle intégrée. Cependant, son approche est tout à fait intéressante même dans l’approche psychanalytique qui, construite à partir du modèle jungien, permet au lecteur d’aller au-delà du propos de l’auteur.
Bruno Etienne nous invite à faire un pas supplémentaire quand, avec Jean Mourgues, il pense que « l’initiation est du domaine de la grâce. Elle est la découverte d’une expérience de caractère intime, la découverte qu’une voie de salut ou une perspective de développement s’ouvre devant nous. L’évidence soudaine, par une sorte de connaissance immédiate, que cette forme de vie qui se présente tout à coup est à la fois nécessaire et la seule possible. »
Il interroge les ombres et lumières de la Franc-maçonnerie, son éventuel ésotérisme. A la question, nécessaire, La franc-maçonnerie est-elle une société  initiatique ?, il répond en invitant à écarter la mondanité et les intrusions profanes, à réaliser une véritable anamnèse spirituelle, à ne plus confondre l’obédience et l’ordre.
De manière très pertinente, il identifie les variables constitutives d’une société initiatique : « une légende de base justifiant le rite, autrement dit un récit fondateur mythique » ; « un dépouillement physique vestimentaire accompagné d’une réclusion » ; « la présence d’époptie dévoilée pour la contemplation des symboles et des mythodrames, c’est-à-dire le rite fondateur » ; « la présence des éléments » ; « un ou plusieurs voyages unidirectionnels » ; « un rapport chute-élévation » ; « une guidance, c’est-à-dire une utopie, voire une eschatologie » ; une uchronie, c’est-à-dire la description du meilleur des mondes situé dans l’avenir, portant l’idéal de l’humanité » ; « une eurythmie en rapport avec les types de temps et d’espaces séparés, donc sacrés » ; « des épreuves physiques, réelles ou symboliques » ; « enfin liées au passage, la mort et la résurrection ». Certes, il existe des sociétés secrètes qui n’obéissent pas, ou seulement très partiellement, à ce schéma mais les sociétés initiatiques externes ou semi-internes sont construites effectivement avec ses éléments.
Bruno Etienne aborde également avec lucidité des questions plus sociétales comme Une Franc-maçonnerie ravagée par la démagogie profane ou Le renouveau de l’intégrisme laïque.
Ce livre, très riche par de multiples aspects, intéressera non seulement les Francs-maçons mais au-delà tous ceux qui sont concernés par l’initiation et la pensée.
Editions Entrelacs, 19 rue Saint Séverin, 75005 Paris.

mercredi 23 mai 2012

Eve et Marie


Marie, la nouvelle Eve de Jean Hani, Editions Arma Artis.
La théologie classique oppose souvent Eve et Marie. Les deux femmes sont antithétiques et manifestent les deux temps des mystères du christianisme que sont la chute et la rédemption. Dans cet essai bref mais de grande qualité, Jean Hani traverse la dualité  Eve/Marie pour identifier les fonctions opératives essentielles et complémentaires dont elles sont porteuses.
Pour cela, il identifie les traits partagés ou parallèles entre Marie et Eve avant d’insister sur Marie comme Co-rédemptrice. Marie est la Sophia, la Sagesse. Femme absolue, originelle et ultime, elle manifeste l’Eternel Féminin.
« Marie, précise Jean Hani, est la « Nouvelle Eve », parce que, en sa manifestation terrestre, elle est le principe féminin resté pur et vierge, parfaitement uni à son prototype éternel, et par là, elle est devenue le signe visible et efficace de la réintégration, dans ce principe féminin supérieur, du principe féminin dégénéré.
On voit par là que la régénération d’Adam ne pouvait se faire qu’avec et par la régénération d’Eve, qui avait été la cause de sa propre chute. »
Jean Hani cite alors le Père Boulgakov pour qui « la théanthropie est réalisée, non par Jésus seul, mais par Jésus et Marie ; la Rédemption, dit-il, ne peut se faire que par l’Homme et la Femme, afin de reprendre l’état d’avant la Chute et le redresser. »
La co-rédemption est une co-création. Jean Hani invite à une lecture métaphysique du mythe et va encore plus loin dans le non-dualisme, à la recherche de « l’état où homme et femme ne sont pas séparés ».
Il livre ainsi une clef des opérativités inscrites dans les liturgies :
« Si on envisage les choses du point de vue métaphysique, on constatera que le couple théanthropique est le reflet, dans l’ordre cosmique, qui est celui de la Rédemption, de la Dyade divine ou Bi-unité divine, c’est-à-dire le Dieu créateur et la Nature universelle, désignés en Inde sous les noms de Purusha et Prakriti, Bi-unité qui se reflète dans l’Androgynie primordiale, l’image de Dieu en l’homme (Gn 1, 27), qui s’explicite, en sa manifestation dans l’ordre visible, dans le couple virginal de l’Homme et de la Femme. (…)
Ce parallèle n’est pas sans rapport avec la doctrine hébraïque de la Shekhina, qui se réfère autant à Marie qu’au Christ. La Shekhina désigne essentiellement en Dieu le Principe féminin actif de la manifestation et, par là, correspond au concept hindou de Shakti. Comme telle la Shekhina est appelée la « Mère d’En-Haut », la « Matrona » et la « Reine ». Comme « Reine », elle s’unit au « Roi », le Principe masculin, pour établir, ou rétablir, l’ordre cosmique… »
Jean Hani note le double aspect de cette puissance, gracieuse, tendre, joyeuse et bienveillante mais aussi terrible, rectifiant ce qui doit l’être.
Cet essai, très synthétique, démontre en quoi il n’y a pas d’initiation sans l’intervention de la puissance du Féminin.
Editions Arma Artis, BP 3, 26160 La Bégude de Mazenc, France.