mardi 29 novembre 2011

Maître Secret

Le Maître Secret, volume II, de Percy John Harvey, collection Les Symboles Maçonniques, Maison de Vie Editeur.

Dans ce deuxième volume consacré à ce grade très important, Percy John Harvey poursuit par un travail d’analyse de la cérémonie d’élévation.

Il pose tout d’abord brièvement le cadre de ce quatrième degré, de ses ouverture et fermeture avant d’étudier point par point chaque étape de l’élévation : la préparation du récipiendaire ; l’entrée de celui-ci et son accueil dans le temple ; les quatre voyages symboliques ; l’obligation et l’investiture ; l’instruction du grade.

L’ouvrage se termine par une étude des décors de la loge et du Maître Secret dont, plus particulièrement, le cartouche du 4ème degré, étoile dans le triangle dans le cercle. Il note le remplacement de la Clef ésotérique présente dans les anciens rituels du XVIIIème siècle par l’Etoile flamboyante dans les rituels modernes.

Cette Clef d’ivoire est qualifiée d’ésotérique car, précise-t-il, « elle confère à son détenteur la capacité de pénétrer la signification des choses au-delà du superficiel. Cet aspect ésotérique de la Clef d’ivoire est un moyen pour pénétrer les mystères du rite, permettant ainsi de progresser dans la voie initiatique, à la recherche de la Parole perdue. ».

L’étoile à cinq branches qui finalement remplace aujourd’hui la clef, néanmoins toujours très présente dans le grade, est, selon l’auteur, « une expression de l’Homme dans son double aspect : masculin et féminin. L’emblème XIX de Philosophia Reformata illustre cette unité de l’homme et de la femme, selon la réciprocité anima (l’aspect féminin chez l’homme) et animus (l’aspect masculin chez la femme). Cette étoile à cinq branches est une figure de l’Homme primordial (5 = 3, masculin + 2, féminin). Elle s’inscrit dans le cadre du carré équilatéral, représentant le Divin révélé. A l’intérieur, le cercle médian figure le monde terrestre de la manifestation. Le tout est contenu dans un grand cercle représentant l’univers céleste, ou le cosmos. ».

Percy John Harvey insiste sur le symbolisme de la clef et sa fonction de « décryptage » qui renvoie à la notion de secret, qui fait sens, et même le sens, de ce grade. Il ne s’agit point de se contenter des interprétations intellectuelles, « raisonnables », des symboles mais d’en chercher les arcanes, soit la puissance opérative. La clef est une « Lumière qui permet d’atteindre la connaissance voilée par le mystère, en faisant voir l’invisible, ce qui était naturellement caché ».

dimanche 27 novembre 2011

Fermeture des travaux. Ouverture à la vie

Symbolisme du rituel de fermeture en loge maçonnique par Alain Pozarnik, collection Bibliothèque de la Franc-maçonnerie, Editions Dervy.

En 1991, Alain Pozarnik nous avait offert, déjà chez Dervy, un très pertinent Mystères et actions du rituel d’ouverture en Loge maçonnique. Vingt ans se sont passés pour que les travaux se ferment sur cette « ouverture sur la vie ». Le texte a une nature testamentaire soit, du point de vue traditionnel, une récapitulation opérative qui prépare à un jaillissement de l’esprit.

Dans une introduction où Alain Pozarnik fait peser tout le poids du mot « fraternité », il rappelle la primauté de l’initiatique.

Le livre porte le sceau de la bienveillance et de la bienfaisance, cette forme si particulière d’opérativité que confèrent l’expérience et la sagesse.

D’emblée, Alain Pozarnik distingue la fonction initiatique du rituel d’ouverture et celle du rituel de fermeture :

« Le Rituel d’ouverture saisit l’homme dans son état ordinaire pour le conduire à son état le plus élevé possible d’humanitude spirituelle. »

Et de noter le caractère gradualiste de ce cheminement.

« Le parcours du Rituel de fermeture des travaux est fondamentalement différent. Il présuppose que le franc-maçon ait atteint dans le temple son souffle intérieur et lui propose une conduite à tenir dans la vie quotidienne à venir pour conserver cette conscience impalpable, la laisser vivre dans les inéluctables mouvements de la vie profane et affirmer son existence dans les situations les plus simples comme les plus difficiles. »

Il ne s’agit donc pas de retourner au profane mais de demeurer dans la conscience accrue du temps sacré au sein même du profane jusqu’à abolir cette opposition entre sacré et profane. Alain Pozarnik identifie pleinement la fonction même de l’initiation, se rapprocher de soi-même, reconnaître sa propre nature originelle et ultime. Cette reconnaissance, à laquelle invite le rituel d’ouverture, doit peu à peu s’installer définitivement en toute circonstance.

« Il s’agit d’un rapport entre l’exercice ascétique ciblé dans le temps de la Tenue et son «après» ciblé dans l’espace de vie, entre la lumière et l’ombre du pavé mosaïque, entre le silence de l’Être et l’’agitation de l’ego. Ce rapport va définir la réalité du passage entre les limites de notre vie d’homme-animal et son basculement dans l’espace profondément humain en nous faisant reconnaître le passage par un parcours inversé. Nous allons passer de la sacralité à l’ordinaire pour savoir revenir dans ce monde ordinaire vers la sacralité.

La lumière du plein midi ne dure pas longtemps mais elle peut féconder nos ombres afin qu’elles ne soient pas complètement dans les ténèbres et possèdent un double sens. »

Il n’existe pas des objets initiatiques (le temple) et des objets non-initiatiques. C’est nous qui créons des rapports initiatiques ou non initiatiques avec l’objet. Ce point est essentiel à l’initiation :

« Ceux qui sont restés profanes durant la Tenue peuvent éprouver des difficultés à suivre les préceptes du Rituel de fermeture qui tente de les éclairer en urgence pour qu’ils puissent faire vivre leurs qualités de franc-maçon à travers leurs comportements journaliers. »

Au fil de l’ouvrage, Alain Pozarnik analyse de manière approfondie les fonctions et les opérativités en jeu lors de la fermeture des travaux à travers les gestes et propos du Vénérable Maître et des premier et second surveillants, en suivant la chronologie du rituel, un rituel qui conduit à une ouverture autre au monde, dans un nouveau rapport pour un nouvel homme.

« Et si le Rituel de fermeture était une sortie vers le monde quotidien et le quotidien de ce monde une sortie vers un monde autre… un monde de conscience subtile, un monde de l’esprit ? »

A travers la dialectique ouverture / fermeture, c’est bien celle, à la fois plus sourde et plus lumineuse selon notre état de conscience, diluée ou accrue, de la vie et de la mort qui se dessine derrière l’apparence, une dialectique destinée à nous faire saisir la permanence de l’Être.

« L’initié en quête de sagesse connaît la chorégraphie des lois du monde, se marie avec elles, y existe avec justesse, enfante un homme nouveau et espère, par petites étapes successives, se prolonger par un fonctionnement autre, répondant à un autre appel que celui de l’ego. »

Alain Pozarnik aura, une fois de plus, invité à la liberté de l’esprit, à la Voie de la Connaissance. Il démontre aussi que, même si presque tout nous conduit parfois à en douter, la Franc-maçonnerie peut assumer pleinement la fonction initiatique.

Il conclut : « Bien que toutes les étapes soient nécessaires pour éveiller notre conscience, trouver, sous les gravats de la vie quotidienne égotiste, la dalle qui ouvre le chemin vers l’Être intérieur est probablement une des étapes la plus importante sur la voie initiatique du Rite Ecossais Ancien et Accepté. »

Editions Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.

Kabbale

Kabbalah. Lettres initiatiques de Jacques Ouaknin, Editions Le Mercure Dauphinois.

Nous retrouvons avec plaisir Jacques Ouaknin, Grand Rabbin bien connu en France, auteur de nombreux essais sur le Judaïsme.

Ce livre est construit sur le principe traditionnel de la lettre à un ami, principe qui coïncide parfaitement avec la transmission de la Kabbale, de maître à disciple. 32 lettres à l’ami, le lecteur donc, comme les 32 chemins de la Sagesse, associant les 22 lettres de l’alphabet hébraïque aux 10 Sefirot, « intermédiaires dont Dieu se sert aussi pour gouverner l’univers ».

L’étude de la Kabbale, cette « Science de la Vérité » est aussi riche que complexe. Elle présuppose « la connaissance de l’hébreu et de l’araméen », mais aussi la familiarité avec les textes classiques appartenant au patrimoine culturel du peuple juif, la Bible et le Talmud ». Elle est aussi une pratique rigoureuse et exigeante qui demande beaucoup de maturité spirituelle. « Il est de tradition, rappelle l’auteur, de n’entreprendre l’étude de la Kabbale qu’à partir de 40 ans. »

« La Kabbale, précise-t-il, est difficile à définir en quelques mots. Sous son aspect extérieur, elle se présente sous la forme d’un commentaire du texte de la Torah, du Cantique des Cantiques et d’une prophétie d’Ezéchiel. Au travers de ces commentaires, l’étudiant en Kabbale découvre le contenu de la mystique juive, le sens caché du message divin délivré aux humains. »

Jacques Ouaknin propose ici une initiation à l’ésotérisme de la Kabbale, accessible « au travers de l’influence qu’elle exerce sur les rites pratiqués dans le Judaïsme ».

« Mes 32 lettres vont suivre le chemin du déroulement de la journée du Shabbat dans l’ordre chronologique, en débutant par les prières d’accueil de la sainte journée le vendredi et en s’achevant par son accompagnement à l’issue du Shabbat, à la tombée de la nuit. En effet, la journée du calendrier juif commence la veille à la tombée de la nuit et s’achève le lendemain soir à la tombée de la nuit. (…)

Le Shabbat est spécifique en ce sens qu’il célèbre la Création et la spiritualité du peuple juif révélée lors de l’événement du Sinaï, deux thèmes qui sous-tendent toute la science de la Kabbale. »

Ces lettres établissent un dialogue intime qui traite de la métaphysique juive et de la cosmogonie juive comme de l’expérience mystique à laquelle invite toute la Kabbale. Jacques Ouaknin s’appuie sur la Kabbale lourianique et a opté pour une méthode appliquée. Il insiste donc sur cette respiration : « Tsimtsoum (Retrait), Shévira (Brisure), Tikoun (Réparation). Les lettres s’emboîtent dans les autres de manière dynamique. Peu à peu, se dégage une continuité du sens, de la forme à l’essence. Au lieu d’opposer des «niveaux logiques», Jacques Ouakin met en évidence, comme dans le cas du Cantique des Cantiques, un continuum du sens interne. Ce continuum qui vise à nous conduire à « plus haut sens » en refusant d’introduire de la séparation, par renversement, instaure une sagesse au sein de la vie quotidienne. Cet essai est aussi une leçon de vie épanouie.

Le Mercure Dauphinois, 4 rue de Paris, 38000 Grenoble, France.

www.lemercuredauphinois.fr

mercredi 23 novembre 2011

Ecossisme

La Franc-maçonnerie Ecossaise en France par Albert Lantoine, Editions Dervy.

En 1930, Albert Lantoine (1869-1949), poète, romancier et critique littéraire trop méconnu mais aussi historien de la Franc-maçonnerie, publie ce livre consacré au REAA « aussi célèbre que mal connu » affirme-t-il alors. Il inaugure ainsi une voie nouvelle dans la recherche maçonnique. Il introduit en effet la rigueur de la critique historique là où les mythes, pas toujours fondateurs, et surtout les légendes les plus diverses, dominent.

Cette figure libre, profondément humaniste et spiritualiste, mériterait un portrait approfondi. En attendant, nous avons ce livre qui révèle toutes les qualités de l’homme et du franc-maçon.

C’est un travail exemplaire pour l’époque mais pas seulement puisque ses travaux furent régulièrement repris par d’autres chercheurs jusqu’à nos jours.

Dans sa préface, il évoque la situation particulière de la Franc-maçonnerie française et rappelle quelques vérités fortes qui prennent un sens aigu en ce début chaotique de XXIème siècle :

« Dans tous les Etats, une société – aussi secrète soit-elle – subit le contre-coup des événements profanes et se trouve obligée, sous peine de mort, de tenir compte de leurs conséquences. Les maçonneries du monde ne peuvent réciproquement se comprendre et se juger que si elles se pénètrent bien de cette vérité. »

Il évoque dans son travail la spécificité de la Franc-maçonnerie écossaise, ce qui la distingue de la Franc-maçonnerie anglaise depuis Anderson en s’intéressant aux origines probables de l’Ecossisme et aux intentions politiques qui animent, dès l’origine, les expressions maçonniques. Les titres des chapitres sont significatifs de l’éclairage nouveau qu’il entend faire partager aux Frères : Origine de l’Ecossisme – Le pseudo-créateur des hauts grades : Le chevalier de Ramsay – L’Ecossisme au XVIIIème siècle – Unification du Rite Ecossais par le Nouveau-Monde – Création d’un Suprême Conseil en France et constitution du Rite Ecossais ancien et accepté – Le Suprême Conseil de France et ses difficultés extérieures - Le Suprême Conseil de France et ses difficultés intérieures – Les deux branches du Rite Ecossais ancien et accepté, Suprême Conseil et Grande Loge de France ou l’Unité dans la dualité.

L’ouvrage s’appuie sur des documents souvent méconnus à l’époque et proposent des thèses inédites comme, par exemple, à propos de l’entrée de la Grande Loge Ecossaise au Grand Orient en 1804. Le livre éclaire mais il dérange aussi. Albert Antoine cherche les faits derrière la mystique et les ressorts humains derrière les discours spirituels. Il démystifie mais croit en la mission universelle et particulière de la Franc-maçonnerie :

« Les peuples aspirent à une ère de concorde où toute guerre serait considérée comme une lutte fratricide. En attendant, non pas le Grand Soir embrasé d’incendie, mais ce Grand Jour baigné de lumière, les Elites, malgré les attaques injustes dont l’Ordre est toujours l’objet, se rendent compte de plus en plus de sa haute mission humaine. Et l’Ecossisme continuera d’être pour elles le havre de grâce où l’amour désarme la haine – le Royaume terrestre pour les Hommes de bonne volonté. »

S’il le poète revient au premier plan en cette conclusion, ce n’est pas sans lucidité qu’il espère en l’humanité et en la Franc-maçonnerie.

Ce livre d’historien est un livre d’homme de désir qui aspire, à l’instar du plus grand nombre, à une paix simple qui ne semble pas inaccessible. C’était en 1930, quelques années plus tard…

Editions Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.

Symbolique du Compas

Le compas, le cercle et le chemin du ciel par Alain Lejeune, collection Les Symboles Maçonniques Maison de Vie Editeur.

Le compas, l’une des trois « Grandes Lumières » de la Franc-maçonnerie, est présent dès l’antiquité, qu’elle soit égyptienne, grecque ou romaine, comme symbole mystérique.

« Les branches du compas sont évoquées dans l’écriture hiéroglyphique de l’Egypte ancienne sous la forme de l’ibis, oiseau du dieu Thot, dieu de la mesure et des nombres. La justesse de son pas permettait de reconstituer les limites des terrains après la crue. »

Si le compas de l’ibis sert à mesurer la terre, il semble que les égyptiens usaient également d’un compas solaire qui aurait servi à la parfaite orientation des pyramides. Il est donc un puissant symbole de justice et d’ajustement. Jusqu’en Chine, le compas accompagne l’acte créateur ou fondateur.

L’auteur confie au lecteur une indication importante quand il envisage le croisement des symboles, comme dans le cas de l’équerre et du compas :

« En effet, utilisé dans toutes les traditions, le croisement des symboles permet d’exprimer des relations difficilement formulables, notamment des relations de créations mutuelles, comme c’est le cas, par exemple, du yin et du yang, de certains polyèdres réguliers ou encore des relations fraternelles des frères en Loge. »

Le croisement évoque en effet la nature serpentine des opérativités qu’elles soient introductives ou terminales, gradualistes ou subitistes.

Le compas est essentiel bien entendu au traitement des tracés, des géométries sacrées ou secrètes qui accompagnent les constructions de pierre comme les constructions célestes. L’auteur développe la question de l’enseignement initiatique par le compas et le cercle qui invite au centre.

« Le cercle de l’apprenti correspond à la formulation des questions vitales auxquelles les compagnons et maîtres ont le devoir de répondre, orientant son regard vers le ciel des causes et le service de l’œuvre.

Le cercle du compagnon est centré sur le devoir de formulation et de construction du temple. »

L’ouvrage, très pédagogique, laisse toutefois les mystères se déployer dans le propos mais aussi dans une iconographie choisie dont nous retiendrons deux images significatives : celle des corps entrelacés de Fu-Xi et Nu-Wa, le couple royal chinois, mi-humain, mi-serpent et une étonnante représentation de l’être royal porteur de la couronne, trouvée au Château de Trakaï à Vilnius en Lituanie.

Maison de Vie Editeur, 16 boulevard saint Germain, 75005 Paris, France.

dimanche 20 novembre 2011

Tableaux de Loges

Les Tableaux de Loge maçonnique constituent de véritables livres d’images, véhicules privilégiés d’un enseignement traditionnel participant de l’art de la mémoire. Deux livres, complémentaires, nous rappellent ce trésor opératif placé sous nos yeux et souvent trop vite oublié.

Voyages dans les Tableaux de Loge, histoire et symboles de Dominique Jardin, Editions Jean-Cyrille Godefroy.

Dominique Jardin a fait le choix de l’approche historico-critique d’un ensemble très conséquent de tableaux, plus particulièrement ceux présents au Rite Ecossais Ancien et Accepté, mais également certains du Régime Ecossais Rectifié et du Rite Français, tels qu’ils furent arrêtés à la fin des XVIIIème et XIXème siècles.

Il énonce cette phrase forte, lourde de conséquences tant sur le plan symbolique que sur le plan opératif, « Le tableau est à la loge ce que le tablier est au maçon. ». Tout comme le tablier, il marque l’isolement du monde profane et crée ce temps à part, cette parenthèse au sein même du profane que constitue le temps sacré. D’une certaine manière, là où le tableau est dévoilé, le temple est édifié. Bien souvent, il représente les outils et décors présents au grade correspondant dans le temple. Il y a donc une dialectique et un jeu de miroirs entre le temple physique et sa représentation, jeu qui évoque ce qui ne peut être dit et reste caché.

La grande force du travail de Dominique Jardin est de nous offrir, pour explorer ces livres d'image qui peuvent parfois se montrer déroutants, une double méthodologie qui correspond à la démarche initiatique maçonnique d’une part, à la démarche historique d’autre part, pour en dégager des fonctions :

Le maçon du XVIIIème siècle, nous dit-il, entre «progressivement dans le temple et dans la signification de la représentation centrée ; derrière cette signification apparente, il s’agit de faire affleurer un autre sens, le sens caché. C’est pourquoi le tableau devient un support de méditation et un véritable objet pédagogique pour le maçon du XVIIIème siècle, tandis que certains lui attribuent une signification ésotérique (au sens ici de «caché»).»

L’historien « cherche à comprendre et à expliquer la signification des tableaux observés en démontant leur processus de construction. Pour cela, elle met à jour l’utilisation de la technique du tableau dans le tableau, celle de la mise en abîme. ».

Ce double regard, rarement productif, se révèle ici d’un très grand intérêt quand le tableau est étudié en lien avec le rituel, replacé dans le contexte historique et culturel où il fut fixé. Chaque motif est donc appréhendé pour lui-même et dans la dynamique de l’ensemble. Là est la source d’un savoir opératif.

Dominique Jardin fait parler les images, avec érudition et justesse, d’abord les tableaux de loge de la « maçonnerie bleue » puis ceux des grades de vengeance et d’élus, ceux des grades de construction, les tableaux spécifiques de la maçonnerie chevaleresque, des «grands mystères» et des grades «blancs» pour conclure de manière à la fois traditionnelle et audacieuse, évoquant un chemin depuis le « regard substitué » qui analyse au lieu de percevoir, qui commente au lieu de connaître, qui présuppose au lieu de se rendre disponible, au « regard retrouvé ».

Le défi relevé par l’historien est réussi. La démarche historienne n’étouffe pas le sens mystérique mais le soutient. D’une manière renouvelée, Dominique Jardin appelle à «voir».

www.editionsjcgodefroy.fr

Anatomie des tableaux de Loge, sous leurs formes symboliques et allégoriques de Percy John Harvey, Editions Dervy.

Percy John Harvey met ses connaissances de l’iconographie religieuse et de l’herméneutique au service de l’analyse des tableaux de loge et plus précisément des relations entre les images composant le tableau et les textes formant le rituel correspondant.

« Cœur » symbolique de la loge, véritable « centre » opératif, autour duquel et par lequel se mettent en place les travaux, le tableau de Loge manifeste l’axialité du Temple. Il est un élément de la culture nomade des loges au début de la maçonnerie spéculative tout comme le rituel d’ouverture qui sacralise l’espace et le rituel de clôture des travaux qui rend l’espace à sa destination profane. Il est un élément de permanence au sein de l’éphémère.

« Catéchisme visuel », il est aussi véhicule d’un enseignement qui se donne à dire, pour une part, mais qui œuvre aussi silencieusement. Cette fonction pédagogique, ancienne, a engendré des tableaux d’une grande sophistication traditionnelle, synthétisant en eux-mêmes, le corpus du grade correspondant.

Percy John Harvey inspecte l’environnement symbolique du tableau de Loge, le Pavé mosaïque, les trois Fenêtres de la Loge, les trois Piliers et les trois petites Lumières avant d’analyser la topographie des tableaux. Il distingue par exemple six zones dans les tableaux des premier et deuxième degrés : un côté obscur, un côté clair, trois sections de haut en bas, une partie médiane, chacune avec une fonction symbolique précise. Il distingue les tableaux des grades symboliques de ceux des grades allégoriques comme celui du grade de Maître. Les invariants des très nombreux tableaux du grade de Maître évoquent fortement la mort et plus subtilement le relèvement.

Comme toujours, Percy John Harvey développe son propos à partir d’une iconographie riche et soignée.

Editions Dervy, 19 rue Saint-Séverin, 75005 Paris, France.

Tables de correspondances

Liber tabularum mago-kabbalisticum et hermeticum par Fred MacParthy, Sesheta Publications.

Il y a en Occident une très ancienne tradition des tables de correspondances magiques, kabbalistiques et hermétiques, principalement dans le courant rosicrucien et néo-rosicrucien. Fred MacParthy a réalisé un travail considérable pour rassembler, et surtout interroger, ces nombreuses tables de correspondances qui sous-tendent ou encadrent des pratiques traditionnelles diverses.

Ces tables sont nées du génie, ou du démon, de la comparaison qui anime l’être humain raisonnant. Très tôt, le partage des connaissances entraîna une recherche de correspondances entre des observations de la nature inscrites à la fois dans une axialité, le rapport immédiat, direct, à la nature et dans une culture, une pensée de la nature. A la Renaissance, on remarque une véritable transdisciplinarité et une érudition partagée qui vont notamment fonder l’humanisme.

Fred MacParthy note une interpénétration des systèmes, un mélange des Traditions, inévitable sans doute, qui balaie aussi définitivement l’idée réductrice d’une soi-disant « pureté ». Tout courant est au confluent d’influences multiples et s’en nourrit.

Au XVème siècle apparaissent les premières classifications par tables de Jean Trithème, la Sténographie et la Polygraphie. Cornélius Agrippa poursuivra en ce sens, s’appuyant sur le Picatrix. Au XVIIème siècle, le mouvement Rose-Croix développera son enseignement, notamment par des tables de correspondances. Cet usage ne cessera de se développer jusqu’à nos jours.

Fred MacParthy pose une autre question d’importance, celle des kabbales. Après avoir clarifié l’ambiguïté orthographique, il rappelle une distinction nécessaire entre Qabale théosophique ou Qabale spéculative et Qabale extatique ou contemplative, qui après Aboulafia, engendre une Qabale théurgico-mystique, appelée dans la Kabbale chrétienne contemporaine Qabale magique ou théurgico-magique. Cette évolution correspond à une évolution des pratiques incluant progressivement la prononciation des Noms divins. Ces questions vont se traduire par la multiplication des arbres de vie aux graphismes multiples.

Avec des ordres plus récents, de la fin du XIXème et du début du XXème siècles, nous voyons apparaître un nouveau problème : nombre d’erreurs, de copies ou d’interprétations, se sont glissées dans les tables de correspondances usitées.

Fred MacParthy propose en un gros et beau volume de 900 pages un ensemble remarquable de tables, classant, pour l’usage, des entités associées à leurs fonctions et déclinant les correspondances possibles. Un certain nombre de tables introduisent des correspondances orientales puisque Aleister Crowley avait introduit celles-ci dans son Liber 777.

L’auteur souhaite, avec sagesse, que ce livre soit « un guide dans l’étude et la pratique des Sciences Occultes. Mais aussi un sujet de controverse entre les systèmes d’attributions, un outil de réflexion et un premier pas vers d’autres études que certains d’entre vous, lecteurs, allez entreprendre par l’intermédiaire de ces tables de correspondances. ».

Sesheta Publications, 2 bis rue Damiette, 76000 Rouen, France.

www.sesheta-publications.com/

mercredi 16 novembre 2011

L'Esprit des Choses

L'Esprit des Choses, Nouvelle Série, en langue française, n°5.

Sommaire : Editorial - Dossier Emmanuel Swedenborg : Le Saint Esprit, mythe ou réalité par Claude Bruley ; La Trinité dans le sacré et le quotidien par Claude Bruley ; Le symbolisme du froid par Claude Bruley ; La résurrection est-elle immédiate ? par Claude Bruley ; Swedenborg, la vie après la mort par Claude Bruley ; Swedenborg, le prophète venu du froid par Charles Byse – Documents : Caractéristiques de la Franc-maçonnerie par Serge Hutin. 16 Euro l’unité à l’ordre du CIREM, BP 08, 58130 GUERIGNY-FRANCE.

Borghini

Nous vous signalons une excellente revue martiniste numérique italienne, Borghini, du nom d'un grand hermétiste de l'époque de Francesco I de Medici, Vincenzo Borghini. Cette publication est le fruit des travaux de la Loge Don Vincenzo Borghini et des soeurs et frères martinistes de Toscane.
Quatre numéros, disponibles en PDF sont déjà parus.

Voici le sommaire du n°4 : NASCITA DELLA MAGIA 1° di Poimandres S.I.L.I. - NEOPAGANESIMO E MOVIMENTI WICCA di Igneus S.I.L.I. - DELLA SANTA SCIENZA di Robert Amadou - BRICIOLE DI ASSURDITA' SACRA di Remy Boyer - traduz. di Alexander S.I.L.I. - LA VIA DEL CUORE di L.C. di Saint-Martin - traduz. di Alexander S.I.L.I. - LA DIVINA SOPHIA di Giordano Bruno.

Information : bettaglim@gmail.com

samedi 5 novembre 2011

Martinès de Pasqually

Martinès de Pasqually, un énigmatique franc-maçon théurge du XVIIIème siècle, fondateur de l’ordre des Elus Coëns de Michelle Nahon, Pascal Galodé Editeurs.

Michelle Nahon vous est familière comme présidente de la Société Martinès de Pasqually depuis 1997. Elle signe là un ouvrage historique de référence sur le fondateur énigmatique de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns. Fruit de vingt années de recherches et d’un travail collectif rigoureux, cet essai tente de cerner la personnalité insaisissable de ce théurge inscrit en Franc-maçonnerie et de retracer un parcours parfois chaotique. Ce faisant, Michelle Nahon pose les jalons d’une histoire raisonnée de l’ordre qui lui aussi ne se laisse pas aisément découvrir, tant en ses formes qu’en ses finalités opératives.

Martinès de Pasqually, tout comme Cagliostro mais avec moins de polémiques sans doute, fascine, intrigue et effraie parfois le milieu maçonnique français dont il force quelque peu l’entrée grâce à des patentes étrangères. Martinès a un projet très précis, inscrire dans un cadre et un contexte maçonniques un ensemble théurgique non maçonnique qui constitue un culte théurgique. Toute sa vie sera organisée autour de ce projet qui, quoique très avancé, restera inachevé à sa disparition. Beaucoup d’imprécisions n’apparaissent qu’au moment d’opérer et il faudra aux « émules », Saint-Martin en tête, penser ce système complexe, en chercher la logique interne, pour trouver des réponses sans lesquelles les rituels ne sauraient être accomplis.

Michelle Nahon nous raconte la vie d’un homme, de ses compagnons d’aventure, de ses adversaires aussi, une vie pour une part bordelaise puisque Martinès de Pasqually vécut à Bordeaux de 1761 à 1772. Elle permet de comprendre la genèse temporelle d’un mouvement qui eut et garde une influence considérable sur l’illuminisme en général.

Le livre ne résout pas toutes les énigmes que posent la vie et l’œuvre du personnage, c’est d’ailleurs impossible, mais il pose un cadre rigoureux à la recherche historique. Il montre aussi combien la pratique théurgique est difficile quand le contexte devient hostile et il le devient rapidement. D’incompréhension en incompréhension, une question demeure posée pour Martinès comme pour Cagliostro : « Ne vaut-il pas mieux pour vulgariser un système interne éviter la tentation maçonnique ? ». Cette question, régulièrement débattue dans des collèges internes au cours des deux derniers siècles, trouve dans ce livre des arguments contradictoires mais qui ne manquent pas d’intérêt.

Enfin, Michelle Nahon, dans sa conclusion, rappelle qu’elle ne fait pas de l’archéologie mais traite d’un sujet vivant :

« L’Ordre de Martinès est resté en sommeil et son fils ne l’a pas remis en activité, mais ce n’est pas pour autant que sont perdus tout ce travail, tout cet enseignement et tous ces textes. Le Maître a su apporter à ses émules une formation solide, critique, éthique, avec des bases de réflexion philosophique et une forme d’ésotérisme chrétien qui vont leur permettre d’avoir un rôle important dans l’évolution de la franc-maçonnerie et de l’illuminisme. A cette formation théorique, il a ajouté des techniques qui leur ont permis d’être dans une certaine réceptivité et de développer une capacité à se mettre à distance des événements et des idées reçues. »

Pascal Galodé Editeurs, 18 rue de Toulouse, 35400 Saint-Malo, France.

http://pascalgalodeediteurs.com

mercredi 2 novembre 2011

Les Leçons de Lyon

Les Leçons de Lyon aux Elus Coëns, un cours de martinisme au XVIIIème siècle par Louis-Claude de Saint-Martin, Jean-Jacques d’Hauterive et Jean-Baptiste Willermoz, publié sous la direction de Robert et Catherine Amadou Editions Dervy.

Voici la réédition attendue des Leçons de Lyon, publiées en fac-similé par la revue L’Esprit des Choses du CIREM de 1991 à 1995, puis en ce livre en 1999, dans la collection du même nom, L’Esprit des Choses, dirigée par Robert Amadou et le CIREM chez Dervy, collection aujourd’hui disparue.

L’introduction et la préface aux Leçons de Lyon, rédigées par Robert Amadou, sont toujours utilisées comme instruction au sein de certaines manifestations actuelles de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers. Elles posent un cadre nécessaire, historique et initiatique, à la pratique opérative des Elus Coëns. Rappelons que cet ordre n’a de sens que dans la pratique approfondie des opérations complexes qu’il propose et que toute vision extérieure est nécessairement erronée même si elle n’est pas toujours inutile.

Les Leçons de Lyon constituent un apport indéniable à la compréhension du système mis en place par Martines de Pasqually et à sa pratique. Les analyses croisées de l’ensemble des documents du Fonds Z, du « Manuscrit d’Alger », du Traité de la réintégration et des Leçons sont indispensables à la mise en place des rituels d’opérations théurgiques de l’ordre. Beaucoup d’informations nécessaires à l’opérativité des rituels se trouvent en effet dans d’autres documents. Pour suivre l’injonction de Robert Amadou, « Opérons donc ! », un travail préalable, souvent fastidieux mais qui entraîne des moments précieux où les choses (sinon la Chose) s’éclairent enfin, se révèle indispensable. Il est en effet facile de se perdre en ne considérant que l’apparence maçonnique du système ou en confondant le système théurgique martinéziste avec l’un des multiples systèmes magiques que les deux derniers siècles ont produits. D’autres écueils plus subtils apparaîtront à qui s’engage dans ce travail. Il s’agit d’un culte, Robert Amadou parle de « Culte primitif », d’une célébration lumineuse et non d’un acte de préhension.

Cette réédition, précieuse sur le plan de la recherche historique, l’est plus encore sur le plan de la recherche opérative. Ajoutons que les martinistes et les francs-maçons du Régime Ecossais Rectifié, parfois peu au fait de la source même des courants qui sont les leurs, trouveront dans ce livre matière à compréhension de leur propre cheminement.

Editions Dervy, 19 rue Saint Séverin, 75005 Paris, France.