mardi 26 avril 2011

Christianisme initiatique

Et si vous écoutiez les vraies paroles du Christ ? de Johannes Brücke, Maison de Vie Editeur.
C’est vraiment un excellent travail que celui proposé par Johannes Brücke, un retour à l’essentiel du christianisme, à sa dimension proprement initiatique. Le Christ, Roi-dieu, est avant tout initiateur. Et cette initiation n’est pas donnée, elle se conquiert.
« L’enseignement initiatique du Christ, insiste l’auteur, n’est pas destiné à la multitude et à la foule ; bien loin d’accueillir à bras ouverts les multiples candidats,, Jésus se présente lui-même comme une porte étroite que peu d’être parviennent à franchir, car il faut se dépouiller du « vieil homme », de tous les aspects profanes, pour se revêtir de l’ « homme nouveau ». Et c’est seulement au petit nombre d’adeptes jugés dignes d’accéder à ses mystères que le Christ dispensera son enseignement. »
Ce que Louis-Claude de Saint-Martin a si clairement identifié et développé dans son œuvre est ici condensé à travers une sélection d’enseignements brefs issus des Evangiles dits apocryphes, notamment ceux de Philippe et Thomas, mais aussi ceux de Marie, Marie-Madeleine, etc. sans laisser de côté les quatre Evangiles officiel et principalement celui de Jean. Le choix opéré est judicieux. Peu de mots pour induire un renversement. Quelques extraits :
« C’est par l’eau et par le feu que la totalité du lieu est purifiée, le visible par le visible, le caché par le caché.
Il y a des choses cachées par l’intermédiaire de celles qui sont visibles.
Il y a de l’eau dans l’eau, du feu dans l’huile sainte. » Evangile selon Philippe.
« Depuis toujours, les êtres authentiques assument leur vraie nature, et ce qui émane d’eux est l’authenticité, à savoir devenir l’être qu’on est. » Evangile selon Philippe.
« Quand vous ferez de deux un, vous deviendrez Fils de l’Homme. » Evangile selon Thomas.
« La vérité n’est pas venue dans le onde nue, mais sous la forme de symboles et d’images. Le monde ne pouvait pas la recevoir d’une autre manière. » Evangile selon Philippe.
« Lumière véritable, le Verbe a créé le monde. Et le monde ne l’a pas interrompue. » Evangile selon Jean.
« Là où se trouve l’esprit créateur,
Là se trouve le trésor. » Evangile selon Marie.
Nous avons bien là un christianisme comme voie d’éveil et non plus comme religion aliénante. L’auteur met en évidence l’axe primordial de la voie :
« Enseignement surprenant et essentiel : la véritable résurrection ne se produit pas après le décès, mais avant la mort, c’est-à-dire par l’initiation en conscience aux mystères ; et c’est ainsi que l’on vit de la vie divine (Evangile selon Philippe).
Un seul trésor, impérissable est à rechercher : le royaume de Dieu, qui consiste à faire ce qui est en haut comme ce qui est en bas, et à transformer la dualité en unité (Logia Agrapha). On s’éveille ainsi à l’authentique réalité qui n’ayant ni commencement ni fin, ne saurait mourir ; mais seuls les « fils de l’Homme accompli » ne meurent pas, puisqu’ils sont perpétuellement régénérés (Evangile selon Philippe). Et nul n’accède au ciel s’il ne provient du ciel (Evangile selon Jean). »
Les paroles du Christ, rassemblées dans ce livre, sont fondatrices d’une véritable démarche initiatique dans le cadre d’un christianisme rigoureux et non dogmatique. L’auteur fait non seulement œuvre utile mais s’inscrit dans un véritable travail d’éveil.
Maison de Vie Editeur, 16 boulevard Saint-Germain, 75005 Paris, France.

vendredi 22 avril 2011

Franc-maçonnerie allemande au XVIIIe siècle

Ernst et Falk. Causeries pour Francs-maçons de Gotthold Ephraim Lessing, traduction et présentation de Lionel Duvoy, collection Petite bibliothèque de la Franc-maçonnerie, Editions Dervy.
Ce document rédigé par Lessing (1729-1781) est un témoignage très intéressant sur un moment de l’histoire de la Franc-maçonnerie allemande et notamment de la Stricte Observance Templière et du Régime Ecossais Rectifié. Il se présente sous la forme de cinq dialogues entre un profane, Ernst, qui sera reçu Apprenti maçon entre la troisième causerie et la quatrième et Falk, Franc-maçon.
Les dialogues interrogent les buts, les fonctions et les réalités d’une Franc-maçonnerie allemande qui, à cette époque, traverse une crise importante.
L’auteur est à l’époque bibliothécaire personnel du Duc Karl Wilhelm Ferdinand von Brunswick (1735-1806), alors Grand Maître de la Stricte Observance Templière. La Franc-maçonnerie allemande est le centre d’une lutte d’influence entre les Illuminés de Bavière de Weishaupt (1748-1830), propagateur des idées révolutionnaires, et les néo-templiers de la S :.O :.T :..
Le Duc Karl Wilhelm Ferdinand von Brunswick craignant les idées révolutionnaires opte pour les propositions du Baron von Hund (1722-1776). En 1782, le Convent de Wilhelmsbad (1782), en signant l’acte de fondation du Régime Ecossais Rectifié allait mettre un terme à ce que Lionel Duvoy désigne avec raison comme une dérive de l’Ordre maçonnique en général. Lionel Duvoy pense que la critique de Lessing, développée dans les « Causeries » et dans les échanges avec le Duc, renforça l’analyse du Duc Karl Wilhelm Ferdinand von Brunswick et contribua aux résultats du Convent. C’était un an après la mort de Lessing.
Les deux dernières causeries révèle un Ernst fraîchement initié et déjà déçu. Les critiques sont de deux ordres, l’un contextuel, particulier à la situation allemande, l’autre général, propre à la démarche maçonnique.
En effet, Lionel Duvoy signale que « la crise de conscience que tout Franc-maçon un tant soit peu impliqué dans la démarche initiatique vit à un moment ou à un autre de son cheminement, apparaît ici en formules claires dans la bouche du nouvel initié. ». Lessing déplore notamment « qu’une organisation universaliste engendre des clans idéologiques ».
Outre l’intérêt historique du document, nous partageons la proposition de Lionel Duvoy quant à ce texte :
« Considérons alors ces cinq dialogues comme un vade-mecum à l’usage des frères qui, un jour, ont à se dévoiler ou qui, dans leur for intérieur, vivent une crise de conscience maçonnique. La fierté d’être le chaînon d’une tradition immémoriale, aussi ancienne, comme l’écrit Lessing, que la société humaine, ne doit pas faire oublier que les travaux maçonniques obéissent à un impératif catégorique commun à tous les Francs-maçons : poursuivre hors du temple l’œuvre qui y a été commencée. »
Editions Dervy, 22 rue Huyghens, 75014 Paris.

mercredi 20 avril 2011

Rite Opératif de Salomon

Le Rite opératif de Salomon, 3 volumes : Apprenti, des Ténèbres à la Lumière – Compagnon, du spéculatif à l’opératif - Maître, de la Mort à la Vie, par Monique Amiot, Xavier Tacchella, Maison de Vie Editeur.
Le Rite Opératif de Salomon, R :. O :. S :., est l’un des plus jeunes rites maçonniques. Pour cette raison, il demeure mal connu et ces trois volumes qui lui sont consacrés constituent une opportunité de découvrir et mieux comprendre un rite à la fois traditionnel et original dans lequel le symbolisme tient une place prépondérante.
Le Rite Opératif de Salomon est né il y a plus de trente ans au sein d’une Loge parisienne, dans le cadre du Grand Orient de France, dont il se détacha assez rapidement, notamment en raison de sa mixité, pour essaimer et fonder l’ordre Initiatique et Traditionnel de l’Art Royal, O :. I :. T :. A :. R :. Qui regroupe aujourd’hui les nombreuses Loges pratiquant ce rite. La volonté des fondateurs était de revenir à la Tradition et à la fonction initiatique des rites, de se changer soi-même pour changer le monde et non l’inverse.
Sept principes président le R :. O :. S :. : Le respect des autres et la dignité de soi ; La liberté de conscience et l’égalité parfaite ; La compréhension réciproque et la tolérance mutuelle ; L’amour fraternelle et l’amitié fidèle ; la confiance absolue et le dévouement exemplaire ; La justice pour chacun et l’équité pour tous ; Le perfectionnement individuel et l’amélioration collective. On notera que cette présentation en deux segments oblige à une dialectique qui évite de figer un processus en sentence. Les principes s’interrogent et se mettent en œuvre au quotidien.
Les auteurs traitent les principaux termes maçonniques à travers des axes bien précis, raison, espace, décors, temps, auxquels s’ajoutent des remarques complémentaires. Cela permet de structurer aussi bien la Galerie aux manœuvres choisis, la Carrière, le Triangle, le Chantier, le cercle du Bon Savoir, le Cercle de Recherches Thématiques et la Loge, à la fois comme lieu et comme fonction d’appel ou d’initiation.
Aux trois grades d’Apprenti, Compagnon, Maître, les auteurs s’efforcent de dégager l’essence des outils, leur force symbolique et d’indiquer ou suggérer leur dimension opérative. Ils n’hésitent pas à emprunter une démarche comparative entre les rites, chacun éclairant une facette d’un même outil. D’une manière générale, le R :. O :. S :. cherche à renouer avec l’esprit vivifiant du compagnonnage, à s’enrichir de la rencontre avec d’autres rites, d’autres loges, d’autres Francs-maçons. Le grade de Compagnon, si important, est trop souvent négligé. Il est pourtant la clef d’une maîtrise réussie. De manière similaire, le R :. O :. S :. insiste sur la Géométrie et demande au Compagnon d’exécuter effectivement des tracés, dont celui de la section dorée. Cette préparation rigoureuse permettra au Compagnon, après la réalisation de son chef d’œuvre et la présentation d’un travail d’augmentation de salaire, de répondre aux questions posées lors de l’Audition du Compagnon fini, questions qui visent à vérifier la réalité de ses connaissances.
Le volume consacré au grade de Maître commence par une indispensable exploration de la Chambre du Milieu et du sens même de l’élévation :
« Conformément à la doctrine alchimique, Hiram est trouvé putréfié par les Maîtres qui le cherchent, et bien que la chair se détachât des os, il est relevé ! De même Osiris, fait des morceaux retrouvés par Isis, sera relevé. De même Jésus, après trois jours passés dans le monde des morts ressort vivant de son tombeau.
Dans cette résurrection hiramique comme christique, il faut donner le sens d’Anagogia, c’est-à-dire, élévation, signifiant par là l’élévation de l’homme au divin, le passage de la nature humaine à la nature divine : c’est ce qui confirme le passage de l’équerre au compas. Compas qui sert à tracer le cercle symbolique du serpent qui se mord la queue, l’ouroboros symbole d’éternité et d’immortalité.
C’est la réintégration de l’être cher à Martines de Pasqually, le retour à l’Adam Kadmon, l’homme originel d’avant la faute, celui à qui Yahvé dit : « Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu deviendras mortel. » (Genèse 2, 17). »
Les composants du grade sont analysés, souvent en référence à la tradition de la langue hébraïque : les cinq points parfait de la Maîtrise, le mot sacré, les nombres du Maître…
Les trois volumes proposent beaucoup de documents anciens. Le troisième volume, consacré au grade de Maître rassemble plusieurs expressions de la légende d’Hiram, selon la Bible, dans la littérature, chez Gérard de Nerval, et selon divers rites, du R :. E :. A :. A :. au Rituel du Duc de Chartres de 1784, en passant par le R :.E :.R :. ou le Rite Standard d’Ecosse, entre autres. Chacune de ses lectures délivre dans la conscience des processus différents qui tous convergent cependant vers une structure absolue.
Nous voyons que ces trois volumes, très pédagogiques, ne sont pas seulement destinés à nous faire mieux comprendre le R :. O :. S :., ses spécificités, ses richesses, ils intéresseront tout Franc-maçon désireux de se perfectionner en interrogeant une fois de plus ses propres travaux.
Maison de Vie Editeur, 16 boulevard Saint-Germain, 75005 Paris, France.

samedi 9 avril 2011

Hadewijch d’Anvers

Hadewijch d’Anvers ou la voie glorieuse par Jacqueline Kelen, Editions Albin Michel. Ce nouveau livre de Jacqueline Kelen est un magnifique hommage aux béguines et à la liberté des femmes. A travers cette rencontre magnifique avec Hadewijch d’Anvers, c’est la tradition des esprits libres, la sagesse de la folie contrôlée, présentes dans tous les courants initiatiques et religieux, qui nous sont contées : « Hadewijch, comme toujours visionnaire et par là même pionnière, distingue trois modes de sanctification. Dans un ordre croissant : les plus nombreux sont les saints de la fidélité ; au-dessus et en plus petit nombre se trouvent les saints de l’humilité ; et enfin, bien plus rares, les saints du défi - ces insoumis, ces âmes intransigeantes autant qu’ardentes qui « veulent tout », qui provoquent l’Amour et se mesurent à lui, franchissent avec joie les frontières humaines pour se perdre dans l’abîme d’En Haut. » Hadewijch et Jacqueline Kelen révèlent la continuité de l’extase de la chair en celle de l’esprit et la plongée de l’extase de l’esprit dans le corps : « Nourrie et inspirée par le Cantique des cantiques, la béguine ne cherche pas à l’édulcorer ni à faire de cette passion amoureuse très sensuelle une allégorie abstraite de la relation tissée entre Dieu et la créature humaine. Ce qu’elle propose en modèle aux âmes contemplatives, c’est l’image des Amants. Non des Epoux, ni des Amis. Vivre en amants, c’est être épris passionnément et respirer un amour de liberté. C’est l’étreinte jointe à l’adoration. » Elle s’attarde sur le « baiser pénétrant », précise Jacqueline Kelen, sur le « total embrassement » et autres merveilles, et elle dénombre les effets de l’union : « tendresse, douceur, joie et jubilation ». Souvent elle parle d’un amour qui dévore et engloutit, en reprenant le thème du « cœur mangé » des récits courtois. Amour ne laisse rien après soi, hormis lui-même. Pourquoi est-elle si désirable et si précieuse cette fruition ? Non parce qu’elle procure plaisir et volupté à la mystique, mais parce qu’elle fait entrer dans le Grand Mystère : « Dans la jouissance d’amour, nous devenons Dieu Tout Puissant et juste ». Tel est le désir ou le défi suprême de Hadewijch ; « Devenir Dieu avec Dieu. » Une audace spirituelle inouïe que reprendront avec elle Maître Eckhart et le Flamand Ruysbroeck, mais en prenant bien soin d’en écarter toute dimension érotique. » La voie des Béguines est l’une des très rares voies non-duelles d’Occident, ce que saura reconnaître Maître Eckhart. Seul l’Un, dans la « coïncidence parfaite - entre corps et âme, amour et Amour, et entre Dieu et amour. ». D’une rare lucidité sur les cristallisations de la rumeur dualiste qui figent la voie dans des diversions multiples, Hadewijch incarne une voie directe, immédiate, inconditionnelle, absolument libertaire. « L’Amour est un, tel est le message essentiel que Hadewijch veut transmettre à son interlocuteur demeuré anonyme. Il est le visage rayonnant, insoutenable, de la Divinité, il est aussi dans la ferveur qui porte l’homme et la femme l’un vers l’autre et qui les fait s’élever vers lui. Minne est à la fois l’Essence (l’Amour) et sa manifestation (l’amour). Or, le privilège suprême accordé à la mystique, durant trois jours et trois nuits « perdue dans la jouissance de Dieu », consiste à « Le goûter comme homme et comme Dieu ». » « Il est une manière d’aimer, poursuit Jacqueline Kelen, qui lève toute séparation entre le charnel et le spirituel, qui embrase l’être en une seule lumière. Telle est la fureur (orewoet) qui emporte Hadewijch jusqu’à un « ciel nouveau » où il lui est donné de vivre l’union indissoluble du divin et de l’humain dans l’Amour. » Au cœur du collier de perles précieuses que constituent les écrits de Jacqueline Kelen, qui assure ainsi la permanence de la Tradition d’Amour, ce livre est un joyau tout particulier, par son intransigeance avec le « trop humain », sa beauté et sa puissance. Jacqueline Kelen allie la célébration de la liberté et de l’Amour à une pensée impertinente et pénétrante. Editions Albin Michel, 22 rue Huyghens, 75014 Paris.