mardi 27 juillet 2010

Régime Ecossais Rectifié

Présence du Rite Ecossais Rectifié. Repères et actualité d’un courant maçonnique par Yves Saez, Editions Dervy.
Nous savons l’importance du Régime Ecossais Rectifié dans la Franc-maçonnerie, sans doute le plus cohérent des rites maçonniques, par construction et par enseignement. Rares sont les travaux pertinents sur le R.E.R.. En effet, nombre de loges du R.E.R. ignorent, ou veulent ignorer, les fondements doctrinaux de ce régime qui puise dans les enseignements de Martines de Pasqually, fondateur de l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers et du théosophe Louis-Claude de Saint-Martin. Ce livre, non seulement n’élude pas ce point essentiel mais le développe longuement offrant au lecteur la possibilité de saisir l’esprit qui anime ce fleuron maçonnique.
L’auteur pose tout d’abord longuement le cadre, ce qu’il désigne comme une matrice, en exposant la constitution de la Franc-maçonnerie depuis « Le dit légendaire des Anciens Devoirs » jusqu’aux Constitutions d’Anderson. Une éclosion lente, expérimentale, riche et confuse, tendant vers l’organisation.
Il s’intéresse ensuite à trois personnalités d’exception, « Les véhicules d’Hiram », Le chevalier André Michael de Ramsay, le marquis de La Tierce, et Martines de Pasqually, « l’éveilleur ». Trois œuvres, trois bouleversements, nous dit-il. Et son propos est de première importance car il illustre le caractère initiatique que pourrait, que devrait, présenter le Franc-maçonnerie, en tout lieu, en tout temps.
Ramsay d’abord. Ramsay pressent la nécessité d’un centre, d’une axialité, d’un cœur :
« Cette connaissance par le cœur, c’est le chemin de l’intériorité. C’est l’effort idéal du sujet vers lui-même et le lieu de l’Être (…)
Ramsay transportait dans ses discours cet espace d’origine où il prenait appui. Il faisait de l’Ordre le continuateur d’une collectivité « toute spirituelle » ; il affirmait que les maîtres maçons étaient préparés aux « vertus divines » ; constatait avec la prudence d’un orateur dans une audience ouverte : « Notre institut renferme toute la philosophie des sentiments et toute la Théosophie du Cœur. » En distinguant le lieu du cœur, il désignait le siège d’une connaissance immédiate. Directe. Et proposait à la cosmogonie organisatrice de la loge maçonnique, un axe qui éloigne tous symboles et dispense de toute liturgie. Le siège d’un chaos personnel. Un tehom individuel avec son Incréé veillant. Le Verbe présent aussi. »
Le marquis de La Tierce fut le passeur de l’idée-force véhiculée par Ramsay. En « internationalisant » les Constitutions et le Discours de Ramsay, il donne au projet maçonnique son rayonnement à partir de l’intention première dans un processus d’idéation particulièrement favorable :
« On voit le mouvement de culture qui a porté de La Tierce en brouillant les frontières. Le milieu disponible et lettré où il évoluait, entre la France, l’Allemagne et l’Angleterre, était œcuménique et généreux ; se définissait dans un idéal de tolérance et de spiritualité. »
Enfin, Yves Saez reconnaît à Martines de Pasqually la place, si essentielle, qu’il mérite :
« Certains trésors affleurent parfois à la surface du sol et s’offrent à qui sait les rencontrer. On dit que si personne alors ne les invente, ils disparaissent de nouveau pour le temps qu’ils choisissent. Ou pour la durée que souhaite le sol. N’importe d’où viennent ces étonnants témoins, et n’importe qu’ils disparaissent, si une seule pensée est changée par leur visite.
Le Traité de la réintégration des êtres est un écrit qui ne cesse de surprendre, il encombre ou séduit ; il trouble toujours. La naissance et les circonstances de la vie de Martines de Pasqually restent énigmatiques, mais n’importe. Ce qui compte c’est que la rareté du Traité et la personnalité de son auteur ont eu une portée déterminante sur un courant majeur de la franc-maçonnerie du XVIIIe siècle. Ce qui importe c’est la résonance, fût-elle non consciente, de cette écriture dans toute la maçonnerie continentale, parce qu’elle se lève devant l’assurance absolue de la science ; parce qu’elle s’insurge de l’autorité des formules, et glisse dans la prétention mathématique la délicate ondulation du légendaire. »
Remarquons qu’André breton a lancé à la face de la Sorbonne une idée semblable à celle que développe ici Yves Saez.
La dernière partie de l’ouvrage est consacrée à « L’offre de réalisation du R.E.R. », offre de « déliement », offre de liberté chère tant à Willermoz qu’à Saint-Martin.
Mêlant avec justesse repères historiques, fondements théoriques, références littéraires, analyse du rituel, Yves Saez dresse un tableau audacieux de cette offre et de cette réalisation. Et l’audace justement, l’audace élégante, caractérise ce courant par lequel la poésie initiatique l’emporte sur les lourdeurs formelles.
Il conclut :
« Tout rite préserve son énonciation, ses rythmes – sa poétique – et isolément embellit une part du modèle originel : le phrasé d’un rituel retient ici, l’éclat dialogique d’une instruction là ; ailleurs, la densité d’une formule. Mais ce qui par-dessus tout attache, par-dessus chaque interprétation, par-dessus la flexibilité de toute figure et de toutes histoires, c’est le lien que les récits, que tous les récits de la franc-maçonnerie entretiennent – lien d’écriture entre des textes épars, lien ténu et à peine deviné parfois, mais tissé ligne à ligne, mot à mot, et fort de cette tentative toute simple de réduire un peu le désordre. »
Ne manquez pas ce livre, véritablement un livre de tisserand, qui, tant sur le fond que sur la forme - belle écriture de l’auteur -, restitue à ce courant majeur qu’est le R.E.R. une part de son rayonnement.
Editions Dervy, 22 rue Huyghens, F-75014 Paris.